Wednesday, April 15, 2009

UN ACHAT FORMIDABLE

 UN ACHAT FORMIDABLE
 
Ne croyez pas les guides touristiques. Je me suis rendu compte plusieurs fois qu'en général les lieux qu'ils recommandaient ne m'impressionnaient pas (si ce n'est l'horreur des cohues formées par tous ceux, moi compris, qui avaient été convaincus par la publicité touristique habituelle). En revanche, a plusieurs reprises, je suis resté ébloui par des endroits ou je me suis trouvé par hasard. Meme la renommée de ces différents pays peut ne pas correspondre completement a la réalité. Par exemple Singapour est connu pour etre un État a la discipline la plus sévere. Malgré cela, mon séjour a Singapour a débuté a l'aéroport par le vol dans la poche latérale de mon sac d'une cassette de jazz provenant de Bali. C'était la le seul vol dont j'avais alors été victime dans ma vie, et c'était arrivé pour la premiere fois justement a Singapour ! J'ai également lu au-dessus de la sortie de l'aéroport un grand panneau avertissant que la peine de mort sanctionnait la détention de drogue. La meme peine de mort existe a Bali en Indonésie, et pourtant, la-bas, deux garçons dans la rue nous avaient proposé de la marijuana. Alors j'ai décidé de rester sceptique concernant l'avertissement indiquant qu'a Singapour tout marché noir était lourdement sanctionné. Peu de temps apres, l'un des membres de notre groupe de touristes est venu indiquer que, non loin de la, on vendait au marché noir des montres tres bon marché. J'ai décidé de rester calme et raisonnable. A Bali, j'avais également réussi a acheter une douzaine de produits de beauté de marque dont la moitié avait tout juste été bonne a faire fuir les moustiques. Mais les diables, comme nous le savons, souffrent d'insomnies et celui qui s'occupe des voyageurs aime meme effectuer des heures supplémentaires.
Nous avons passé la journée a visiter la ville de façon épuisante, baladés d'un endroit a l'autre comme sur un tapis roulant a touristes. Pour commencer on nous avait mis des étiquettes en couleur pour que nous courions sur le bon tapis roulant. La soirée était dédiée aux énormes supermarchés et a des achats encore plus énormes. La journée passée dans une ambiance de folie collective invitait a faire une promenade vespérale tranquille et solitaire. Celle-ci m'a récompensé par la découverte que meme les contraventions salées sanctionnant les jets de mégots ne protégeaient pas cette ville de l'existence occasionnelle de cimetieres de mégots en pleine rue, preuve de la passion de fumeurs. Je revenais a l'hôtel quand au coin d'une rue deux garçons m'ont offert d'acheter pas cher des montres Rolex. J'étais convaincu que ce n'étaient que des copies mais disons le diaboliquement avec le diable, qui n'a pas connu cela chez nous ? Une aventure dans un marché noir de Singapour lourdement sanctionné s'offrait a moi, je n'ai pas hésité.

A mon signe de tete, les jeunes gens se sont retournés et m'ont conduit dans les sous-sols du supermarché. Ce n'est qu'apres avoir pris la troisieme petite rue de ce labyrinthe souterrain que j'ai compris que cette idée n'avait pas été la meilleure de ma vie. Le supermarché était en train de fermer. Dans les sous-sols tous les commerces avaient déja leurs volets baissés, et nous marchions dans des couloirs vides qui auraient pu permettre a la bande de garçons de me fouiller tres rapidement et tres facilement. On aurait pu parler de chance si j'avais pu sortir en vie de ce labyrinthe. Avant que je puisse penser a des possibles manouvres de défense (mais vraiment peu s'offraient a moi), nous sommes arrivés a l'unique magasin encore ouvert. Les jeunes gens m'ont fait entrer dans un local a l'arriere. Avec soulagement j'y ai aperçu un touriste anglais qui lui aussi apparaissait visiblement soulagé. En chuchotant nous avons échangé quelques mots d'encouragements. Lui aussi s'était laissé attiré par les Rolex pas cheres. A ce moment est arrivé un des jeunes avec tout un choix de montres. A vrai dire, dans la situation dans laquelle je me trouvais, je n'étais pas d'humeur a choisir pendant longtemps. J'ai pris le premier modele a peu pres correct. J'ai discuté le prix, payé, j'ai fixé la montre a mon poignet et je me suis dépeché de ressortir a l'air libre par le labyrinthe. Une fois dehors, j'ai repris mon assurance et suis retourné a l'hôtel, a nouveau comme un homme ayant parcouru le monde. J'ai rejoint notre petite expédition, juste au moment du dîner, et je me suis tout de suite mis a me vanter.

" Vous etes des amateurs ! " leur disais-je de façon tres alerte, plus la peur me quittait, plus je criais de façon libérée, " acheter pas cher des montres pas cheres, tout le monde le fait. Mais acheter pas cher des montres couteuses, ça, c'est de l'art ! Regardez ! "

Tout le monde a regardé, tout le monde a hoché la tete de façon admirative. Seule une dame particulierement antipathique (elle n'aimait pas les voyages, détestait la mer, et ne survivait a ces vacances a la mer avec nous uniquement pour avoir gagné ce voyage gratuitement) a regardé plus attentivement. Elle m'a alors demandé avec l'étonnement sincere d'une idiote si c'étaient ces fameuses Rolex. Et moi, j'acquiesçais tout bonnement. Mais la dame " casse-pieds " continuait a empoisonner le monde.

"Ce ne sont pas par hasard ces Rolex sur lesquelles j'ai lu quelque chose, pas celles... "

Je l'ai assurée ne pas connaître les Rolex en question, grâce a ça, elle s'est immédiatement souvenu que c'étaient celles qui se remontaient par le mouvement de la main, sous l'effet de la force de gravité de la Terre. J'ai immédiatement acquiescé et changé de sujet. J'ai commencé a m'asseoir pour dîner, mais la remarque de la dame antipathique m'avait alerté. Aurais-je eu vraiment cette chance d'acheter cette montre qui possédait un systeme ultra moderne pour économiser les batteries ? Autant de bonheur a la fois ? J'ai observé discretement la montre sous la table. En regardant mieux, on pouvait voir qu'il se passait réellement quelque chose entre la petite aiguille et la gravité de la Terre. L'aiguille des minutes de ma montre bougeait chaque fois dans le meme sens que celui du mouvement de ma main. Ce qu'elle aimait le plus au monde était de pendre inerte en direction de la terre. Par petites secousses, elle essayait avec insistance, mais vainement, de bouger vers le haut.

Cette montre, je la possede toujours aujourd'hui, mais je ne m'en vante plus.

Traduit par Antoine Ehret



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