Wednesday, March 25, 2009

CHAUSSURES EN DAIM

CHAUSSURES EN DAIM
 
Cette histoire sur les chaussures qui m'ont rendu de bons services pendant douze ans, si j'étais Elvis Presley, je vous la chanterais. J'aimais les miennes au moins aussi fort qu'Elvis les siennes dans sa chanson " Blue Suede Shoes ". Mes chaussures étaient gris argent, souples, fines, confortables, montantes jusqu'aux chevilles. Je les ai achetées dans une coopérative de cordonniers invalides, dans la ville de garnison ou je faisais mon service militaire, juste avant de retourner a la vie civile apres l'année de service obligatoire. Elles étaient étonnamment bon marché, mais c'était du travail de bonne qualité, fait main - et c'est de cela qu'il s'agit dans cette histoire.

Il est terrible de voyager a travers un pays sortant a peine du Moyen Âge, comme par exemple l'Inde. Mais il est plus terrible encore de voyager a travers un pays qui est retourné au Moyen Âge a la suite de guerres fratricides, comme cela est arrivé en Géorgie. Un pays qui meme dans la misere du régime communiste avait su rester une oasis d'abondance, voire de surabondance, et que notre expédition d'écrivains a trouvé dans un état d'apathie et de déliquescence totale. Tout le pays semblait paralysé. Imaginez par exemple un camion passer devant vous : sur le réservoir de fioul il y a une telle couche de terre que des touffes d'herbes y poussent déja. Les vitres du car qui transportait notre expédition d'écrivains étaient perforées par des balles. Dans ce pays, on ne remplaçait pas les vitres felées ou trouées des voitures (et on en voyait tout le temps) car on n'avait pas de quoi. Cette conférence littéraire a été l'une des aventures les plus sauvages que j'ai jamais vécues a l'occasion de ce type d'événements. Durant la conférence nous avons acquis petit a petit la certitude que nos jeunes collegues, les organisateurs géorgiens, refusaient tout appui officiel de l'état (alors que l'un d'entre eux avait été ministre de la culture du précédent gouvernement !). Ils comptaient surtout sur l'aide financiere de leurs amis. Mais le solide cercle d'amis tout a fait géorgien était constitué en majeure partie d'acteurs de ce qu'on appelle le marché noir, voire l'économie grise (et c'est peu dire). Leur soutien a la littérature fut remarquable mais également assez original (et c'est encore peu dire). Chaque jour une voiture différente venait, toujours d'une marque étrangere de luxe, et ses occupants nous livraient une caisse de whisky et des cartons de cigarettes Marlboro. Ils supposaient, évidemment, que c'était le combustible essentiel de nos activités et discussions littéraires. C'était une sorte de manifestation semi privée et je devais admettre que la Géorgie était probablement le seul état au monde ou la littérature jouissait d'une telle importance meme pour la mafia locale. Dans un tel environnement on peut bien imaginer que le programme de notre conférence ait été imprévisible. Il arrivait que nos organisateurs géorgiens nous quittent tout bonnement et que nous attendions dans l'incertitude ce qui allait se produire, suivant tant bien que mal le rythme de notre programme de travail. Ainsi le troisieme jour de la conférence nous nous sommes retrouvés en excursion au diable vauvert. Il y avait des routes effrayantes menant Dieu sait ou a travers les montagnes escarpées coupées de barrages ignorées de notre chauffeur et gardées par des miliciens armés. Il ne s'est arreté que lorsque je lui ai demandé a quoi servaient ces barrages. Des miliciens armés de mitraillettes nous ont expliqué que les barrieres délimitaient les tronçons de la route qui étaient sous le contrôle de la guérilla locale (nous ne savions pas qu'il y avait la moindre insurrection en Géorgie!), et qu'en plein jour cette derniere n'allait pas nous déranger. L'attitude de notre chauffeur nous laissait penser qu'il connaissait par leur nom les rebelles qui éventuellement auraient pu nous arreter. Nous contournions donc les obstacles et nous nous frayions un chemin sur des routes ou on ne pouvait avancer en ligne droite plus d'une cinquantaine de metres, a cause des trous dont l'abondance dépassait celle des boutons d'une varicelle bien développée. Notre course éreintante s'est terminée brusquement et sans avertissement, dans une petite ville. La, les organisateurs nous ont tout simplement fait descendre de voiture et sont partis régler leurs affaires.

Un étranger qui attend en plein jour sur une place d'une ville inconnue ne peut avoir recours qu'a une seule occupation pour calmer ses nerfs - prendre des photos. Nous avons donc sorti nos petits appareils photo automatiques et croyant passer notre temps d'une maniere utile, nous prenions des photos. Une petite hutte délabrée attira notre attention, c'était une espece de tente en bois portant une inscription " Remont obuvi1 ". C'était un tout petit atelier de réparation de chaussures. Ce qui n'aurait eu rien de particulierement intéressant s'il n'y avait pas eu a la porte de cet atelier une petite fille et un chiot. Tous deux étaient barbouillés et curieux, comme seuls les enfants savent l'etre. Ils nous observaient prudemment de la porte. Un cliché ravissant en toute circonstance. Chacun de nous a pris quelques photos, quand tout a coup une voix s'est fait entendre, parlant russe avec un accent géorgien :" Ou il est ce Slovaque?!"

Cette question fait partie des mysteres que j'ai rencontrés et qui resteront pour moi inexpliqués jusqu'a la fin de mes jours. Pourquoi d'entre nous tous cet inconnu m'avait-il précisément choisi, moi, et comment avait-il pu savoir que j'étais slovaque? C'était en effet un vrai mystere. Espérant découvrir une explication peu ordinaire, je me suis présenté avec empressement.
L'homme était ce genre de type qu'on peut trouver en Géorgie comme en Inde ou au Mexique. Ils passent leur vie piétinant ou s'asseyant en groupes dans les rues des villes et des villages, discutent, sirotent du thé et observent tres attentivement les moindres mouvements dans leur champ visuel. Le mieux serait de les saluer poliment a chaque fois qu'on passe dans " leur " rue. A premiere vue ils n'ont pas l'air effrayants mais ce sont eux qui constituent la garde de " l'opinion publique " d'une telle communauté de rue. Ils vous jugent aussitôt et si vous ne leur plaisez pas, le mieux a faire c'est de vous éloigner le plus vite possible. Le pire qui peut vous arriver, c'est d'avoir besoin de recourir a leurs services ou dépendre d'eux de n'importe quelle façon. Ils sont issus de cette couche de population des pays pauvres qui constitue la base de l'État. Je suppose qu'ils ne produisent pas grand chose, mais il est tres utile d'etre bien avec eux. Et c'est pour cette raison que notre entretien avec l'inconnu (hirsute et mal rasé aux vetements élimés) a commencé de la pire façon possible. L'homme s'est approché tres pres de moi, m'a regardé droit dans les yeux et m'a demandé d'un ton provocant, élevant la voix:" Pourquoi prends-tu en photo un estropié? "

J'ai compris, que ça allait mal. Dans la cabane avec l'inscription " Remont obuvi " devait se trouver un estropié. Ce qui est assez courant dans ce métier. Je ne l'ai pas vu, je ne le savais pas, mais ce n'était pas une excuse. L'inconnu était absolument convaincu, qu'il était bien dans son droit de donner une leçon a un étranger et il savait aussi bien que moi, qu'il pouvait compter sur la solidarité de ses compagnons de rue. Les estropiés et les enfants sont dans tous les pays intouchables. Malheur a tout étranger qui fait un faux pas dans ce domaine. Moi, je l'ai fait, meme sans le savoir.

Comme cela arrive dans des moments pareils, ceux qui devaient m'aider se tenaient autour en silence et observaient quelle suite prendrait ce spectacle inattendu. Les compagnons de l'inconnu commençaient a resserrer lentement le cercle autour de nous et a preter l'oreille. Chaque mot avait son importance et je savais bien que je pouvais parler de n'importe quoi sauf de l'estropié. Ça aurait donné a l'homme l'occasion de pouvoir donner une leçon toute prete déja a un étranger arrogant, hautain et insensible.

" Vous savez, cher ami ", commençai-je avec prudence. Dans un effort désespéré d'inventer quoi que ce soit, j'ai jeté un regard pensif a mes chaussures, mes chaussures en daim tant aimées, et la réponse salvatrice a vu le jour. " J'ai pris en photo votre " Remont obuvi ", parce que chez nous il n'y a plus d'ateliers de réparation de chaussures. "

" Vous le dites sérieusement? " l'homme regarda avec surprise mais aussi avec soupçon. Il sentait, que je l'entraînais sur un terrain inconnu et il ne renonçait pas facilement a quitter le sien.

" Absolument! Vous rendez-vous compte, chez nous on fabrique des chaussures de si mauvaise qualité, qu'il ne vaut meme pas la peine de les faire réparer. Rien que de la matiere plastique. Nous sommes obligés de les jeter directement. "

" Ça alors?! " s'étonna l'homme tout content. C'est toujours bon d'apprendre aux représentants de l'opinion locale quelque chose, qui leur donne un sentiment de supériorité. Dans ce cas ils aiment adopter une condescendance hospitaliere. " Vous etes donc tombés bien bas.. ."
" Eh, bien, c'est vrai, " je m'empressais d'approuver.

" Ou va ce monde, " l'homme décida d'entretenir la conversation, mais comme s'il regrettait de renoncer a l'éventuelle dispute entrevue, il a repris pour un instant le ton magistral et bienveillant. " Bien, si tu fais la photo d'une telle cabane, pourquoi ne fais-tu pas une photo de quelque chose de vraiment beau?! "

L'homme a montré d'un large geste la place, ou, il n'y avait vraiment rien de beau. Grâce a cela, je me suis rendu compte, que le cercle de curieux qui s'ennuyaient commençait a se disperser. C'était gagné, il suffisait de continuer a le caresser dans le sens du poil." J'économise la pellicule pour vos magnifiques montagnes. "

" Ah, oui, " approuva l'homme satisfait, " nos magnifiques montagnes. " Il regarda attentivement les cretes éloignées, comme s'il voulait vérifier que les montagnes étaient aussi belles que tous les jours, puis il a ajouté tout simplement : " J'habite non loin d'ici, viens prendre une vodka... "

De retour en Slovaquie, je racontais cette histoire a ma femme, avec un pathos héroique qui succede toujours a une grande peur suivie d'une fin heureuse. Plutôt que par mon histoire, drôle apres coup, elle était captivée par l'état de mes chaussures en daim." Tu portes ces chaussures impossibles depuis une éternité. Tu devrais en acheter de nouvelles ! "

J'étais juste en train de me déchausser, j'ai donc pris avec indignation les chaussures dans mes mains.

" Nouvelles chaussures ?! Pour remplacer celles-ci, qui sont inusables et représentent les derniers spécimens d'un travail de qualité fait a la main ?! "

Je lui ai mis les chaussures sous le nez comme preuve. Elle a hoché la tete comme si elle savait tout et avant de me laisser a mes naivetés, elle a ajouté : " Regarde donc mieux tes chaussures inusables. "

J'ai jeté un regard sur mes chaussures inusables et j'avais l'impression d'etre au bord d'un infarctus. Les semelles étaient completement fendues d'un bout a l'autre. Elles devaient etre ainsi entamées déja au moment ou j'avais eu la prise de bec avec l'inconnu devant la cabane géorgienne " Remont obuvi ". Mais je n'ai pas laissé tomber.

Dans un atelier de réparation de chaussures dans notre quartier ils m'ont mis carrément a la porte.

" Nous ne faisons plus des réparations de ce genre depuis bien longtemps. Nous ne réparons que ce qu'on peut recoller ou recoudre. Essayez en ville. "

J'ai essayé en ville. J'ai fait le tour de plusieurs ateliers de réparation, sans succes. Dans le dernier ils ont été particulierement patients avec moi. La femme au comptoir est partie avec mes chaussures quelque part derriere et est revenue avec elles et un vieux cordonnier de plus. Le cordonnier a pris les chaussures dans ses mains, en connaisseur, il a rompu completement les semelles cassées et a hoché tristement la tete.

" Il faudrait arracher les semelles completement et en mettre de nouvelles. Mais nous ne savons plus le faire. Il y a une vingtaine d'année, on nous a ordonné de bruler nos bonnes vieilles formes. Selon le plan quinquennal nous devions produire une telle quantité de chaussures dans notre pays que leur réparation n'aurait pas valu la peine ".

Je me souviens aussi de cette invention futuriste, mais de nos jours, on a de nouveau le capitalisme. N'est-ce pas?

" De belles chaussures, " il me les a rendus avec regret, " on n'en produit plus comme ça chez nous. Et plus personne ne vous les réparera dans ce pays. Peut-etre encore... "

" Je sais ", dis-je, car soudain une idée fataliste m'est venu, " je connais un endroit, ou on pourrait encore les réparer. "

Je suis rentré chez moi et j'ai déposé mes chaussures en daim tant aimées sur l'étagere. Car, qui sait? Un jour, si je me rends encore en Géorgie...

Traduction de Mária Michalková revue par Catherine Hubert

1 Veut dire " Réparation de chaussures " en russe

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Wednesday, March 18, 2009

EN TRAMWAY POUR LE PARADIS

EN TRAMWAY POUR LE PARADIS
Ceux qui ont survolé l'océan sont souvent torturés par un phénomene connu : le " jet lag ". Ce sont des symptômes qui surviennent lors du survol de plusieurs fuseaux horaires ; l'horloge dans votre tete est perturbée car vous volez a contresens du temps. Ainsi, quand il fait nuit chez nous, il fait encore jour chez vous. C'est surtout cruel l'apres-midi, car tout vit autour de vous alors que dormir est votre plus pressante envie. Encore marqué par des changements trop rapides de continents, je suis parti travailler le lendemain de mon atterrissage. Tout s'est bien passé mais, en sortant du laboratoire, j'ai voulu m'arreter a la Direction de notre institut scientifique. J'y suis arrivé au moment meme ou un de nos collegues donnait une petite fete. Nous sommes donc restés a bavarder, j'ai bu un verre ou deux de vin, et je suis parti tranquillement a pied jusqu'au tramway. Je suis bien monté dedans car sur le tramway il y avait une inscription " RAČA " et nous habitions trois arrets avant le terminus de Rača. Je me suis assis pres de la fenetre, j'ai regardé dehors - et tout a coup, panne de courant. Surement dans ma tete. La biologie moderne a prouvé que, meme quand nous dormons, il y a toujours dans un endroit du cerveau nommé tubercules quadrijumeaux quatre ampoules de secours en état d'alerte. J'ai peur qu'elles aussi soient tombées en panne a ce moment-la, ou au moins certaines d'entre elles. L'obscurité profonde s'est faite, dans un silence de tombe.

Je ne sais pas si vous etes sereins en ce qui concerne la vie apres la mort. Moi, je n'y ai jamais vraiment réfléchi. Ce n'était pas d'actualité, ni dans mes projets. Rien a ce propos qui pourrait etre noté dans le planning hebdomadaire et coché a la fin de la semaine. Simplement, ces réflexions ne sont pas a la mode aujourd'hui. On n'a pas de temps pour ça. C'est pourquoi je n'étais pas préparé psychiquement a mon entrée dans l'autre monde. Mais j'ai été sincerement surpris de la vitesse avec laquelle j'ai pris conscience du passage dans l'autre division. Presque comme une évidence. Je me suis juste un peu étonné. Ainsi, c'était cela la fin de toutes les fins ?! Essayez seulement de suivre mon point de vue. Surgi du vide total, vous ouvrez brusquement les yeux et vous ne savez pas ou vous vous trouvez. Au-dessus de vous se dresse une femme bizarre qui vous raconte quelque chose comme : " C'est la fin... ".

La fin ? La fin de la vie ? Vraiment la fin ? Si tôt ? Pourtant, je n'avais pas imaginé l'ange a la porte du ciel comme ça. Dans l'univers merveilleux que m'offrait le champ visuel de mes yeux entrouverts, a cet instant, dans tout ce deuxieme monde, nous n'étions que nous deux, elle et moi. A vrai dire, cela pouvait tout a fait etre vrai, car j'ai toujours cru que ce sont les femmes qui nous font entrer au paradis. J'en ai rencontré quelques unes sur cette terre et l'excursion avec elles pour un court instant de paradis en valait la peine. Mais cette bonne femme-la paraissait étrange. Pas belle, administrative, pas angélique. Pour lever un tel doute, il existe une question:" Mais pourquoi ? Et pourquoi si tôt ? "

Au lieu de répondre, cette bizarre créature s'est mise a rire ou plutôt a hennir en rigolant tres fort. Ce qui a fait apparaître toutes ses dents gâtées, pas celles d'un ange. Quand elle a cessé, elle a dit avec assurance :" Parce que nous sommes a RAČA. "

C'était un point de repere. RAČA, je connais. Et cet ange - je serais probablement dans un paradis slovaque, de quatrieme catégorie, sans le service. J'ai regardé tout autour. Elle avait raison. En tramway, il est difficile d'aller au paradis. Les tramways ont un terminus. La, ils retournent en arriere, vers la vie. Alors, je suis descendu. 
Traduit par Antoine Ehret

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Wednesday, March 11, 2009

COMMENT MEURENT LES PIETONS

COMMENT MEURENT LES PIETONS

On dit que le centre commercial est la deuxieme maison d'un vrai Américain. En Malaisie ils aimeraient beaucoup ressembler aux Américains ; d'ailleurs la monnaie locale s'appelait a l'origine le dollar malais et encore maintenant son symbole ressemble a celui de la monnaie américaine. Pendant notre conférence nous avons eu l'occasion de voir ce qu'était la deuxieme maison du vrai Malais prospere a une époque ou ce pays ambitionnait de devenir un des plus modernes du monde. Dans un énorme centre commercial, qui comprenait aussi un fleuve artificiel avec des navires panoramiques, seuls quatre membres de notre grande expédition de scientifiques ont réussi a rester ensemble : un professeur finlandais, un jeune Allemand et deux Slovaques. Tout d'abord nous sommes entrés hardiment dans un immense rayon d'alimentation. Il y avait la vraiment tout ce que l'éventail standard de la consommation offre partout dans le monde. Mais nous avons eu beaucoup de mal a trouver quelque chose que nous pourrions qualifier de typiquement malais. Dans le rayon voisin, avec les cosmétiques de luxe, on nous offrait a nouveau le meme choix de marques mondiales qu'a Londres, Paris, New York, mais aussi Sofia, Prague et Varsovie. Cela jusque dans les rayons, présentés de façon identique. Dans les autres rayons ce n'était pas mieux.

Au bout d'un moment nous en avons eu plus qu'assez de cette offre mondialisée présentée a la malaise et nous avons décidé de partir. Mais ce n'était pas si simple. Nous sommes tous convenus qu'il nous fallait un taxi pour retourner au campus universitaire. Nous étions aussi tous d'accord sur le fait que les taxis partout dans le monde stationnent devant l'entrée principale. Mais nous n'avons pas réussi a trouver cette entrée.

Nous avons parcouru les quatre étages du centre commercial. Nous avons découvert toutes les sortes possibles - et inimaginables - de magasins et d'attractions, mais nulle part d'entrée principale. Plusieurs fois, nous sommes revenus au meme point et de nouveau nous nous sommes élancés résolument dans une autre direction. Finalement nous avons trouvé trois sorties possibles de ce bâtiment mégalo : une sortie sur un chantier, une sortie vers un immense parc d'attractions pour enfants et une entrée dans un garage a cinq sous-sols. Mais il n'y avait de taxi en aucun de ces trois endroits. Nous étions quatre étrangers hautement motivés, avec des diplômes universitaires, ayant déja pas mal voyagé et ayant vu dans leur vie plus d'un centre commercial et plus d'un taxi...et pourtant nous étions a bout. Apres une errance sans fin, apres nous etre adressés en vain aux clients autochtones étonnés qui se hâtaient vers leurs voitures et nous etre querellés d'une façon tout a fait inamicale sur la direction a prendre , nous nous sommes finalement élancés avec résignation, dans l'obscurité, a travers le chantier attenant. Nous sommes parvenus rapidement sur une bretelle d'autoroute ou nous avons enfin pu arreter un taxi et, malgré une ambiance peu enthousiaste, nous sommes arrivés sans encombre a l'hôtel. A la façon dont nous nous sommes séparés, sans dire un mot, pour rejoindre nos chambres, il était clair que cette rencontre avec la civilisation fastueuse du troisieme millénaire laissait en nous des impressions contradictoires.

Quelques semaines plus tard, de retour chez moi, quand j'ai parlé a mes amis de cette expérience curieuse, j'ai eu soudain une idée lumineuse. Ce centre commercial avait bel et bien une entrée principale ! Nous étions passé a côté plusieurs fois sans nous en rendre compte. C'était le parking, a vrai dire un super parking ! Autrefois il y avait des magasins la ou il y avait des gens, le plus pres possible d'eux, de leurs habitations et des endroits facilement accessibles a pied. Aujourd'hui on voit de gigantesques hangars remplis de marchandises en plein milieu d'un désert. Tout comme des autoroutes qui traversent des régions isolées a l'écart des zones habitées. Venir sans voiture dans un centre commercial de ce genre, c'est comme circuler a pied sur l'autoroute. L'un et l'autre (et il faut y ajouter les aéroports modernes) vivent désormais leur propre vie, dans l'isolement. Ils sont construits pour l'homme motorisé. Qui ne fait qu'un avec son automobile. L'automobile lui sert de sac a provisions parce que la surproduction du commerce mondial ne rentrerait tout simplement pas dans un sac normal. En réalité, tout était donc parfaitement dans l'ordre ce soir-la en Malaisie. Nous, les étrangers-piétons venus d'Europe, étions les seuls a ne pas avoir compris qu'un énorme parking a plusieurs étages est désormais et restera pour toujours l'entrée principale de ce type de magasin du futur. Servant aussi de mausolée et de tombe au dernier piéton inconnu.

Traduit par Catherine Hubert

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Wednesday, March 4, 2009

DES PARENTS DANS UN PAYS LOINTAIN

DES PARENTS DANS UN PAYS LOINTAIN

J'ai toujours pensé que seuls les hommes avaient des parents dans un pays lointain, mais il y a probablement des exceptions.

Dans un petit village de l'Orava, au centre de l'Europe, ou nous possédons un chalet de famille est apparu un jour un pingouin. A vrai dire, il y était depuis longtemps, mais nous ne l'avons découvert qu'au moment ou j'ai du descendre la colline pour aller a la quincaillerie. Pour changer un peu, j'avais pris avec moi ma fille de six ans, Veronika. Cela ne pouvait pas rater, elle a découvert ce pingouin posé sur l'étagere située juste au-dessus de la caisse. Bien sur ce ne sont pas les clous, les peintures, les haches et les scies qui auraient pu l'intéresser, mais un pingouin dans une quincaillerie, ça n'arrive pas tous les jours. Et celui-la y était depuis fort longtemps, son manteau de peluche noire était bien poussiéreux. Cela ne dérangeait pas notre Veronika. Elle, elle a toujours besoin de cadeaux, meme a l'occasion d'un achat de clous, mais la, j'ai dit non tres fermement.

Cela faisait une semaine que je refusais le pingouin, ce qui était déja une assez bonne performance. Mais finalement je n'ai pas pu supporter plus longtemps les pleurnicheries et les cris de désir de Veronika. Nous sommes donc retournés voir ce pingouin, juste le voir. Veronika était ravie. Le propriétaire du magasin était ravi aussi. Il a compris que c'était la chance de sa vie. Ce pingouin (qui marchait cahin-caha grâce a des piles, qui battait des ailes et produisait des bruits électroniques de pingouin), il avait du accepter de le mettre en vente dans un moment de folie passagere. Veronika et moi, nous devions lui paraître des envoyés du ciel." Je vais vous faire une réduction. "

Je considérais que c'était normal vu la couche de poussiere sur le pingouin. Mais cela n'était pas nécessaire, nous n'étions venus que pour le regarder." Regardez, regardez. "

Nous avons donc regardé comment le pingouin marchait cahin-caha, comment il battait des ailes et comment il produisait des sons électroniques de pingouin. Moi, je ne lui trouvais rien de particulier qui m'aurait attiré, mais Veronika et le propriétaire du magasin étaient tout excités. Ce ne devait pas etre tout.

" Mais vous n'avez pas encore tout vu," déclama théâtralement le commerçant, quand le pingouin cessa de marcher cahin-caha, de battre des ailes et de caqueter.
" Celui-ci ", le propriétaire avait l'air mystérieux, prenant dans ses mains le pingouin qui ne se doutait de rien, " celui-ci - c'est un mâle ! Et j'ai aussi la femelle ! "
Et tout de suite il a apporté un carton de nulle part, sans doute de sa réserve, et de ce carton il a sorti exactement le meme pingouin que celui de l'étagere. Il les a placés côte a côte." Et voici papa pingouin et maman pingouin ! "

Nous nous sommes regardés, Veronika et moi, bouche bée : une ferme de pingouins a Oravská Lesná ? Des petits pingouins en peluche facilement et rapidement ?! Avant de perdre mes derniers restes de jugement, j'ai immédiatement affirmé que ce mariage ne pourrait se faire que sur mon cadavre. La petite Veronika m'a tout de suite fait savoir que, si on n'achetait rien, il faudrait alors aussi compter sur le sien. Le propriétaire du magasin était au bord d'une attaque cérébrale depuis longtemps déja. Et dans tout cela deux pingouins marchant cahin-caha, battant des ailes et caquetant quelque chose dans leur langue maternelle électronique.
Je considere que c'était une grande victoire de la raison de n'etre partis qu'avec la femelle (celle sans poussiere). N'essayez pas de me rappeler que nous n'y avions été que pour regarder. Le résultat était clairement un compromis.

Un mois plus tard nous sommes allés, ma gentille femme Janina et moi, en vacances a Hurghada, en Egypte, a l'origine un village de pecheurs désert, transformé en quelques années en un centre touristique rempli d'hôtels, de plages, de piscines et de petits magasins. C'est comme a Kuta a Bali ou dans n'importe quel village de Croatie sur la côte Adriatique. Les magasins d'Hurghada étaient peu nombreux mais l'un d'entre eux semblait etre un " Duty Free ". C'est ce qui nous a attiré, nous l'avons visité, et nous n'avons rien acheté. Mais nous avons rapporté a la maison une bonne nouvelle. Notre pingouin femelle avait un oncle a Hurghada. Il est exposé couvert de poussiere et attend qu'une Veronika locale vienne pour l'emmener chez elle, ainsi que la tante cachée dans la réserve...


Traduit par Antoine Ehret

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