Wednesday, January 28, 2009

ENDROITS INTERDITS

A peu pres partout dans le monde existent des endroits que ceux qui connaissent les lieux vous conseillent d'éviter. Mais peut-etre nulle part dans le monde n'y en a-t-il autant qu'aux États-Unis. J'ai entendu parler d'une histoire ou quelqu'un a failli perdre la vie dans un quartier de Washington voisin de celui des ambassades, sur et bien gardé. D'autres amis ont eu droit a un souvenir inoubliable a New York, dans le Bronx, pour n'avoir pas écouté le conseil de leurs hôtes et etre allés s'y promener en voiture de location. En s'arretant au feu rouge dans une rue a l'écart, il ne leur est plus resté que la carrosserie de l'auto fermée de l'intérieur. Ils n'ont été libérés qu'une heure apres par une patrouille de police qui passait la par hasard. C'est pourquoi je ne me suis pas étonné que notre hôte de Norfolk, Ron Wray, attire notre attention sur le vilain bâtiment de plain-pied a l'enseigne " Bar Aux Bons Garçons ". Nous nous déplacions en voiture du quartier résidentiel, ou il habitait, vers le campus universitaire a travers un quartier de maisons délabrées.

" N'allez surtout pas la. Cela pourrait vous couter cher ", a fait remarquer Ron d'un air soucieux.

Ce bon conseil nous a été adressé tant a moi-meme qu'a mon collegue slovene. A l'invitation de Ron, Directeur du Centre International des Écrivains de la Old Dominion University de Norfolk, nous avons participé ensemble a la soirée de présentation organisée pour les professeurs et les étudiants de l'université. Ron craignait un peu pour nous, évidemment sans raison. Notre intention n'était certainement pas de papillonner d'un bar a l'autre et, comme étrangers, nous n'aurions certainement pas trouvé celui qu'il nous avait déconseillé de façon si franche.

Notre présentation devait donner l'occasion a la communauté intellectuelle présente de faire la différence entre un écrivain slovaque et un écrivain slovene. Je crains qu'ils n'aient pas saisi cette occasion. Ils ont preté une attention cordiale a nos deux présentations et, lors de la soirée organisée en notre honneur, nous avons eu tous les deux suffisamment bien des occasions d'avoir d'agréables conversations avec les personnalités littéraires locales. La soirée avait lieu au bungalow du campus universitaire ou était logé mon collegue. Comme le temps passait, les invités se sont éclipsés, y compris Ron. Nous sommes restés tous les deux seuls, mon collegue et moi. Il commençait a se faire tard, et nous voulions boire encore un dernier verre. En Slovaquie on dit que " cent fois rien peut abattre meme un éléphant ". Ce verre a malheureusement été le cent et unieme rien que j'ai bu ce soir-la, et j'ai réalisé que cela allait mal. Il ne me restait plus qu'a faire rapidement mes adieux, et a essayer d'arriver le plus vite possible chez Ron, ou je logeais. A la vitesse avec laquelle l'alcool commençait a me monter a la tete, il était clair que plus tôt je serais couché, moins cette soirée aurait de chances d'avoir des conséquences.

Sans hésitation, j'ai souhaité bonne nuit a mon collegue. Je me suis assis dans la voiture de location et me suis mis en route pour la maison de Ron. Ce n'était pas un long trajet, juste quelques rues ; en outre nous l'avions déja parcouru plusieurs fois dans la journée. En plus je me fiais a mon sens de l'orientation qui m'avait déja été utile dans plusieurs villes que je ne connaissais pas. J'étais tout a fait certain que tout irait bien.

Mais cela n'a pas été le cas. De mémoire j'ai tourné dans la premiere rue, puis dans la deuxieme. Dans la troisieme j'ai compris que je me dirigeais mal. J'ai fait demi-tour et j'ai recommencé - premiere rue, deuxieme...tres vite j'ai compris que j'étais perdu. Mais pas completement. Dans le noir et dans le labyrinthe des rues identiques, rectilignes et abandonnées, il me restait un endroit pour m'orienter. Un bâtiment bas a l'enseigne " Bar Aux Bons Garçons ", le bar que Ron nous avait fermement déconseillé. Quoi que je fasse, je tombais dessus. Le labyrinthe des rues me conduisait toujours a lui. Il m'attirait comme un aimant. Je me suis plusieurs fois arreté devant, j'ai a chaque fois essayé une autre direction et je suis toujours retombé sur son enseigne en néon. De loin c'était le seul endroit qui rappelait la vie. Durant tout ce temps je n'avais rencontré ni âme humaine ni voiture. Je n'avais trouvé personne a qui demander mon chemin, tout le quartier semblait mort. Les lumieres aux fenetres étaient déja éteintes. C'était l'heure des esprits et mon errance était comme ensorcelée. La peur m'a dessoulé. Effectivement, on ne peut échapper a son destin. La solution pour cette nuit (si je ne voulais pas dormir dans la voiture dans une des rues sombres de ce quartier suspect) ne se trouvait que dans ce bar. J'ai stoppé devant, j'ai éteint le moteur, fermé l'auto a clé, et je me suis mis en route vers le bâtiment peu engageant, d'ou s'échappaient des cris et du vacarme.

Une personne qui m'aurait vu marcher cette nuit dans le parc a voiture a moitié vide n'aurait pas perçu ce que je vivais. Dans ce domaine, je suis entraîné. Pendant mon service militaire, j'ai osé critiquer dans notre journal de l'unité nos cuisiniers militaires. Ces derniers m'ont fait passer un message me prévenant que je me ferais lyncher publiquement dans la cantine. Je ne pouvais éviter de m'y rendre car je devais manger. Je me souviens donc tres bien de cette impression d'etre un cowboy solitaire qui n'a d'autre solution que d'enfoncer les portes du saloon ou il est attendu par une horde de gens assoiffés de sang. Dans la cantine, tout comme maintenant dans ce bar inconnu d'un quartier peu accueillant d'une ville des États-Unis, j'ai marché d'une maniere assez assurée. Mais sur mon visage j'ai senti un muscle tressaillir de nervosité et j'ai eu l'impression horrible de ne pas pouvoir maîtriser ce tic effrayant. Une fois entré dans ce bar suspect, j'ai ressenti un petit choc. Les bruits et les cris sortaient de grands amplis et de quelques machines a sous qui se trouvaient la. En dehors de cela, il était a moitié vide. Les quelques " Bar Aux Bons Garçons " présents étaient entierement occupés par les machines a sous qui étaient la et ne m'ont meme pas regardé. Le barman, un grand Noir cool, a doucement levé les sourcils lorsque je lui ai expliqué ou je voulais aller. Ensuite, il a hoché la tete, il a quitté son comptoir, m'a emmené devant le bâtiment et m'a montré la bonne direction. J'ai sauté dans la voiture et en quelques rues j'ai été en sécurité dans la maison de Ron.

A propos, pourquoi je vous raconte tout cela ? Je pense que certaines histoires valent la peine d'etre racontées meme s'il ne s'est rien passé du tout.


Traduit par Antoine Ehret




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Wednesday, January 21, 2009

Un ange nommé Milan

Un ange nommé Milan
 Histoire indienne

Tôt ou tard, tout voyageur en arrive la : les anges existent. C'est a dire au moins ces anges qui protegent les gens sur les routes. Habituellement, ils n'ont pas de nom, mais l'un d'eux s'appelle de maniere certaine Milan.

J'ai un collegue avec qui j'effectue pratiquement tous les déplacements (a caractere) scientifique(s). Une fois, de retour d'un congres (scientifique) a Prague, nous n'étions pas assis, chose inhabituelle, l'un a côté de l'autre dans l'autobus. Grâce a cela, lors de l'arret a mi parcours, je trouvais mon collegue en discussion avec un type étonnant, originaire de Slovaquie. Il avait de longs cheveux grisonnants et le visage plein de rides1. Cela ne me surprit pas lorsqu'il dit qu'il avait servi comme colonel dans l'armée rhodésienne. Chacune de ses phrases2 nous confortait dans l'idée qu'un globe-trotter était assis en face de nous. C'était le début des années 90 peu apres la Révolution de velours et ainsi, quand notre nouveau compagnon Milan se mit a nous raconter les péripéties de son voyage a travers Sri Lanka, l'Inde ou le Népal, nous eumes l'impression d'entendre parler un martien3. C'est pourquoi son offre de nous conseiller, si nous nous rendions également la-bas, nous paru etre une plaisanterie. Aussi, je n'accordais aucune importance au fait qu'il offrit sa carte de visite a mon collegue. Ce dernier est si désordonné qu'il était tout a fait capable de la perdre. Et en effet il la perdit.

Quelques années plus tard un de nos article scientifiques eut un tel retentissement que nous reçumes une invitation a faire une conférence en Inde. Et ainsi par hasard, grâce a cette offre, nous avons pu réaliser ce voyage. Les conseils du globe-trotter Milan étaient la seule chose qui nous manquait. Et c'est alors que se produisit le premier miracle. Tôt ou tard, tout voyageur en arrive la : les anges existent. Au moins les anges qui protegent les gens sur les routes. Habituellement ils n'ont pas de nom, mais a coup sur l'un d'entre eux se nomme Milan.

J'ai un collegue avec qui je fais presque tous les déplacements a caractere scientifique. Une fois, de retour d'un congres a Prague, exceptionnellement, nous n'étions pas assis l'un a côté de l'autre dans l'autobus. Grâce a cela, a l'arret de mi-parcours, je trouvai mon collegue en discussion avec un type étonnant, originaire de Slovaquie. Il avait de longs cheveux grisonnants et le visage tout ridé. Cela ne me surpris meme pas lorsqu'il nous dit qu'il avait servi comme colonel dans l'armée rhodésienne. Chacune de ses phrases nous confortait dans l'idée qu'un globe-trotter était assis en face de nous. C'était le début des années 90, peu avant la révolution de velours. Alors quand notre nouveau compagnon Milan se mit a nous raconter les péripéties de ses voyages au Sri Lanka, en Inde ou au Népal, nous eumes l'impression d'entendre parler un martien. C'est pourquoi sa proposition de nous conseiller si nous nous rendions également la-bas nous paru etre une plaisanterie. Aussi je ne le pris pas au sérieux lorsqu'il offrit sa carte de visite a mon collegue. D'ailleurs ce dernier était si désordonné qu'il ne pouvait que la perdre. Et en effet il la perdit.Quelques années plus tard un de nos articles scientifiques eut un tel retentissement que nous fumes invités a une conférence en Inde. Par un heureux concours de circonstances, nous avons pu réaliser ce voyage grâce a une subvention. Les conseils du globe-trotter Milan était la seule chose qui nous manquait. C'est alors que se produisit le premier miracle.

Comme s'il avait deviné nos souhaits, il appela de lui-meme peu apres. Apres quelques années passées sur les routes d'Asie, il était de retour a Bratislava et il était pret a nous rencontrer. Que pouvions nous souhaiter de mieux !

Milan n'avait pas beaucoup changé. Seuls ses cheveux étaient plus gris et son visage davantage ridé. Mais ses récits étaient tout aussi incroyables qu'avant. L'essentiel cependant était sa promesse amicale de nous prodiguer, les apres-midi des quelques vendredis qui nous séparaient encore du départ, de bons conseils sur le voyage. Grâce a cela nous fumes suffisamment bien préparés et le dernier vendredi avant le départ il ne restait plus grand chose a évoquer. Comme j'arrivai un peu en retard, mon collegue était déja parti. Alors Milan et moi restâmes seuls assis a prendre le thé. Lui ne buvait jamais d'alcool et moi, il ne me serait jamais venu a l'esprit auparavant de boire un thé dans un bar. Je m'appretais donc a partir assez rapidement.

" Quand vous envolez-vous pour Delhi ? " demanda Milan tout a coup et apparemment sans grand intéret.
" Mercredi prochain. "
" Et quand atterrissez-vous ? "
" Au moment du repas, un peu avant midi. "

Il ne demanda plus rien et alors je me levai. Sur le pas de la porte il m'arreta comme si soudainement il se souvenait de quelque chose, comme ça, en passant.

" Hé bien au revoir et a mercredi prochain a l'hôtel Imperial. A treize heure, c'est d'accord ? "

Rapidement je fis un signe de tete et sortis. Cela semblait trop beau pour etre vrai. Mais le mercredi suivant nous nous fîmes conduire directement de l'aéroport a l'hôtel Imperial. Et Milan était la. A partir de ce moment la, il s'occupa de nous comme une mere et nous accompagna dans des contrées inconnues avec une générosité et une patience que nous n'aurions pu trouver chez aucune autre personne.

Et savez-vous pourquoi je suis sur que Milan était un ange ? Simplement parce que nous ne réussîmes pas a lui rendre la pareille ni meme a le remercier convenablement. Il avait tout simplement disparu. Or seuls les anges apparaissent quand on a besoin d'eux et disparaissent silencieusement une fois leur mission accomplie.

A propos, vous aussi pouvez devenir un ange. Il suffit d'avoir les yeux ouverts et de saisir chaque occasion d'aider les gens qui vont sur les routes. Comme ça, par bonté d'âme. Mais n'oubliez pas de vous retirer avant que l'on ne puisse vous récompenser ni meme vous remercier. C'est la condition.


Traduit par Alain Moulia

1 Sillonné de rides / ou simplement ridé
2 Chaque phrase dite par lui nous ...
3 cela nous semblait comme si un martien s'exprimait.


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Wednesday, January 7, 2009

POST SCRIPTUM : SENTIMENT

                                               POST SCRIPTUM : SENTIMENT

Ce n'est qu'un sentiment, il ne s'appuie pas sur un seul fait mais sur un ensemble (ou plutôt un nuage) de faits souvent ressentis de maniere inconsciente. Des faits dont on se rend compte a posteriori, dont on ne parle pas. C'est pour cela que ce n'est rien d'autre qu'un sentiment. Celui-ci est le propre de chaque créature capable de penser et de sentir. C'est le sentiment d'un reve non réalisé d'une vie idéale dans un monde idéal. Dans un eldorado, un pays promis, un pays prospere, un banc de glace libre - en un mot - un paradis. Chacun de nous l'imagine peut-etre autrement dans son esprit (meme si je crois ici a l'effet de la consommation et de la production en série), mais nous avons tous le meme sentiment. Se décider et tout quitter car il n'y a rien de plus facile que de quitter les petites choses pesantes de tous les jours et de partir sur un chemin inconnu vers un idéal imaginé. Nombreux sont ceux qui connaissent ce sentiment, surement exceptionnel. Nous nous réjouissons. Nous sommes curieux. Alors, allons-y !

Le meilleur remede aux amours soudaines et aux coups de foudre est dans le deuxieme regard. En tant que touristes ou hommes d'affaire en voyage nous ne sommes plus autant émerveillés la deuxieme fois ou les fois suivantes. Nous regardons déja d'un oil plus attentif et nous découvrons ce qui a déja été découvert tant de fois, a savoir que ceux du paradis ont aussi des problemes humains. Qu'eux aussi ont mille raisons de se plaindre. Le plus surprenant est qu'ils ont aussi leur reve de paradis - ailleurs. En buvant une biere dans un club de jazz a Londres ou dans un McDonald's omniprésent a Paris une idée nous surprend brusquement et sans que nous nous y attendions. Elle est si banale que nous n'osons pas la dire a haute voix : chez soi c'est chez soi. Voila tout, pas d'explications. Ici, je suis en vacances mais la-bas, je suis chez moi. Ici, je suis invité mais la-bas, je peux etre a la fois invité et hôte. Bref, on commence a se réjouir de rentrer chez soi. On commence a avoir le meme sentiment qu'a la premiere autopsie obligatoire du cours d'anatomie. On commence a avoir le sentiment d'avoir vu assez de choses et qu'il est temps maintenant de rentrer enfin chez soi ! Pendant le voyage de retour on se réjouit et on peut devenir sentimental. Ces symptômes sont décrits dans les manuels et ils y sont certainement bien décrits.

Nous arrivons chez nous et tout content, nous racontons nos aventures. A vrai dire, dans le flot de paroles nous pouvons facilement ne pas voir que nos parents ne nous écoutent pas vraiment ou alors a peine. Ils ont leurs problemes quotidiens, désormais redevenus les nôtres. Avant la fin de notre récit, nos problemes quotidiens nous rattrapent. Le premier jour ouvrable qui suit notre retour, bien décidés et avec un soupir, nous prenons ce tapis roulant sans fin vers tout ce qui est normal et banal. De nouveau nous nous pressons dans les tramways ou le métro, nous nous énervons en lisant les journaux, nous nous disputons pour des choses évidentes...

Si notre mémoire fonctionne, elle ne tardera pas a se faire entendre. Elle commencera a nous rappeler des choses, a nous proposer des comparaisons. Elle commencera a ouvrer pour faire lever un nouveau sentiment toujours grandissant. Le sentiment qu'ailleurs c'est mieux. Si nous l'écoutons attentivement, nous ne pourrons pas nous retenir et nous repartirons en voyage. Et nous reviendrons. Poussés par le pendule de sentiments de meme force mais de signes opposés. Finalement nous nous sentons vraiment heureux a dix mille metres d'altitude, dans l'avion qui nous emmene vers un nouveau paradis de reve ou qui nous ramene vers notre pays que nous redécouvrons. Ce paradis, cet idéal, consiste alors uniquement dans sa recherche et dans la vision du monde a dix kilometres d'altitude. La malchance réside dans le fait que tout vol aussi long qu'il soit finisse par l'atterrissage sur un sol dur. C'est comme ça qu'avec des passagers et leurs valises, des tonnes de sentiments et de désirs non enregistrés et non dédouanés voyagent a bords des avions. Comment s'étonner alors que de temps a autre un de ces avions s'écrase ?

Traduit par Diana Lemay



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