Wednesday, February 3, 2010

« JARO » LE PIGEON

« JARO » LE PIGEON


Donnez-moi encore une chance.Il doit quand même y avoir une constellation au sein de laquelle on doit pouvoir s'entendre avec nos animaux de compagnie. Je sais que je suis incapable de construire des enclos et des niches. Je ne sais pas soigner les hirondelles ni d'ailleurs aucun animal.
Je ne peux pas ramener à la maison de créatures sauvages parce que je ne peux pas garantir à ma chère épouse Janina qu'elles n'affectent pas la santé de nos enfants.

Et pourtant je veux d'une façon ou d'une autre que nous communiquions avec cette partie du règne animal qui parait être indépendante, désireuse de communiquer et en même temps non spécialement entraînée à de telles fins. La solution allait de soi. Nous vivons au sixième étage d'un immeuble juste sous le toit. Ainsi nous avons automatiquement des pigeons pour voisins. Ils ont élu domicile sur la gouttière au-dessus de notre balcon, d'où ils bombardent tout ce qui se trouve en dessous comme les défenseurs des remparts d'un chateau fort.

Moi ça ne me gène pas, ma femme si. Moi je ne lave pas le balcon, ma femme si. Et vous connaissez les femmes, quand quelque chose ne leur plaît pas, elles émettent un cri aigu, persistant, désagréable et perçant. Elles parlent.
Elles parlent sans cesse de la même chose.
Et ainsi moi, défenseur de la nature, combattant pour des relations sincères avec les animaux (surtout avec ceux qui ne se mangent pas) et chercheur diplômé d'une grande école, j'ai emprunté le chemin du crime.

Concrètement un soir d'été, je suis sorti en catimini avec un vieux sac et suis allé sur un chantier de démolition voisin et j'y ai peu à peu subtilisé assez de vieilles briques afin de murer provisoirement la gouttière au-dessus de notre balcon. Ensuite j'ai grimpé sur la fragile rembarde du balcon soutenu par ma femme dans un silence complice, et maladroitement mais déterminé, j'ai bouché cette gouttière avec les briques. Le soir je me suis couché avec le sentiment d'un travail mal fait, mais plein de bonnes intentions.

Le matin j'ai trouvé sur le balcon un jeune pigeon. C'est probablement lors de mon acharnement maladroit de bâtisseur qu'il était tombé du nid dans la gouttière.
C'était comme une apparition et aussi un des arguments importants dans la bataille verbale qui m'attendait avec ma chère épouse Janina.
Avec les enfants on ne lutte pas. Le petit pigeon jouit du droit d'asile comme un réfugié de guerre.
Notre Lucka était ravie. La petite Veronika aussi, mais par bonheur elle ne marchait pas encore avec suffisamment d'assurance pour que le petit pigeon y laisse tous ses nerfs voire la vie en essayant sans succès d'échapper à son envie de l'attraper. Nous avons donné au petit un bol d'eau. Il ne l'a pas touché. Nous avons rapproché le bol. Par réflexe il a renversé le bol d'un battement d'ailes. Et il battait des ailes comme un boxeur à chaque fois que quelqu'un tentait de s'approcher de lui pour lui donner à manger.

J'appartiens à la millième génération de l'espèce Homo sapiens sur Terre. Je donne une chance de cinq minutes à chaque problème. Et si je ne parviens pas à résoudre le problème dans le délai imparti, j'ai recours au mode d'emploi. Dans ce cas-ci je n'avais pas le mode d'emploi sous la main et le petit pigeon avait à première vue tout son temps. Je l'ai laissé à son destin avec l'espoir qu'un pigeon-ange gardien vienne à son secours, le nourrisse et le fasse boire à notre place. C'est ce qui est arrivé.
La mère pigeon s'est chargée discrètement de sa descendance et un jour le petit cessa de crotter sur le balcon et dans le bol d'eau fraîche. Il cessa également de nous battre de ses ailes quand nous emportions vaincus son bol à laver. Il s'envola.

L'histoire de ce jeune pigeon s'était passée à la fin du printemps. A la fin de l'automne j'ai vu un pigeon me jeter un coup d'oeil dans mon bureau à travers la porte du balcon. Je suis déjà habitué aux pigeons. Mais celui-là sortait tout de même de l'ordinaire. Quand j'ai tourné la tête pour le regarder, il s'est éloigné de la porte du balcon mais il ne s'est pas envolé. Quand je suis sorti sur le balcon, il était posé sur la rembarde. Faisant le beau, aux aguets, mais immobile jusqu'à ce que je vienne tout près de lui. A ce moment là il m'a soudainement frappé de son aile d'un direct rapide comme un éclair. Mais ça, on connaît déjà. Dans l'espoir qu'il s'agisse de mon vieil ami, j'ai donné un nom au pigeon. Vu que nous nous étions connus au printemps, il écopa du nom de Holub Jaro – Pigeon du printemps.



Dans mon bureau j'ai placé près de la porte du balcon le fond d'un carton et j'ai inscrit dessus le prénom du pigeon. Le pigeon Jaro n'a pas hésité et à la première occasion s'y est installé. Avec le temps il s'est même laissé prendre dans les mains. Mais à chaque fois, il avertissait d'un coup d'ailes juste avant. Sans s'envoler, il attendait recroquevillé l'étreinte des mains humaines.
Notre Lucka était ravie. Nous avions notre pigeon. Janina avait du mal, mais elle accepta tout de même mon riche exposé en biologie-éthologie selon lequel notre pigeon Jaro, en faisant lui-même caca sur le balcon, empêchait les autres pigeons d'en faire autant. En biologie un territoire occupé de la sorte est appelé „?“ ou „biotope“. Et „ „ ou „biotope“, c'est une façon assez élégante de dire qu'un pigeon bien identifié s'arroge le droit de chier sur notre balcon. Qu'en dites-vous ?


S'ensuivit une harmonie entre la famille et le pigeon. Jaro adorait se promener sur le clavier de mon ordinateur en provoquant le désordre sur l'écran. Il posait volontiers devant le camescope. Il supportait le sautillement de Lucka.
Et quand rien ne se passait, il s'asseyait au moins sur le bord du carton portant son prénom, et tantôt de l'oeil gauche, tantôt de l'oeil droit, bêtement exorbités, il m'observait écrire et „roucolait“ (comme Lucka disait).
L'idylle quoi. Nous aurions pu de la sorte fêter aussi Noël et le jour de l'An. Mais peu avant la Saint-Nicolas, juste quand Lucka s'était habituée aux conversations quotidiennes avec le pigeon (nous, parents, n'avions bien entendu pas le temps de mener des débats sérieux avec notre fille de trois ans en pleine croissance), celui-ci disparût.
On ne l'a pas vu pendant un jour, une semaine, un mois. Et quand nous eûmes enfin expliqué prudemment à Lucka qu'il avait dû trouver une copine pour l'hiver, une nouvelle étonnamment encourageante nous parvint par une voie mystérieuse.
Selon cette information, un certain pigeon inconnu était si gonflé qu'il avait pris l'habitude de pénétrer dans les appartements et de chier sur les couvertures. Jusqu'à ce que cette voisine hardie ne claque la porte du balcon derrière lui et...

L'histoire ne dit pas si notre pigeon Jaro avait été tout simplement liquidé, ou bien s'il avait servi à agrémenter la carte du foyer mentionné.
Seulement, aujourd'hui me vient le sentiment, bien sûr un peu tardivement, qu'une tentative sérieuse d'établir une communication entre les pigeons et les hommes a
ainsi avorté d'une manière peu glorieuse.


Les pigeons se transmettent depuis des siècles le message selon lequel sans les hommes ils ne peuvent pas vivre, mais qu'avec eux, ce n'est pas de la tarte non plus. Ils s'en arrangent par un recul vigilant et en souillant les statues des gros bonnets.
Et ils n'en pensent pas moins. Mais le pigeon Jaro a tout de même tenté de se rapprocher de nous. Il avait la curiosité des hommes et la confiance des enfants. Il a su
aller contre son instinct de survie, contre ce ressort automatique doté de l'énergie du siège éjectable des pilotes de chasseurs supersoniques.

Et toujours inlassablement, lorsque je le prenais dans les mains, il réfrénait en lui l'explosion qui placerait automatiquement le corps du pigeon, tel un siège éjectable, sur l'orbite de secours pour échapper au danger mortel et aux mains humaines. C'est ce qui lui a coûté sa vie de volatile remarquable.

Traduit par Michèle Théo

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