Wednesday, May 27, 2009

A la recherche du Paradis III

A la recherche du Paradis
(PART III)
Story by Gustáv Murín


Le matin suivant était un samedi et meme les sauts de joie de Lenka n'ont pu m'empecher de faire la grasse matinée. Apres avoir sauté sur ses parents, elle a essayé de me convaincre qu'en tant qu'étranger inconnu, je devais profiter de chaque minute offerte de la compagnie d'une dame et accepter de mon plein gré de visiter l'exposition de ses jouets préférés.


Ainsi commença la journée. Apres le petit déjeuner, nous en sommes enfin arrivés a la longue discussion attendue : comment ça se passe a la maison et ici. Au moment ou nous nous sommes trop engagés sur le terrain politique, theme recommandé pour une tristesse collective, Legy a proposé de plutôt aller jouer au tennis.


Avant mon départ pour les Etats-Unis, mes amis et connaissances m'avaient demandés : " Et que vas-tu faire la-bas au juste ? "


Je ne voulais pas expliquer toutes les péripéties liées a la bourse accordée par le gouvernement américain (les impôts et des amis émigrés, comme ne manquaient pas de me le rappeler quelques-uns) et j'ai donc répondu que j'allais en Amérique pour jouer au tennis. C'est comme ça que je m'imagine le Paradis, moi - du temps et de l'espace illimités pour pratiquer un tennis récréatif et socialement amusant...


Mes amis se sont a premiere vue beaucoup amusés de cette réponse, mais, a part eux, ils se disaient surement : " Quels drôles de types que ces Américains ! Ils paient sans rechigner un séjour de trois mois a un détraqué qui n'a pas de meilleur boulot que de jouer au tennis ?! "
Quand je suis finalement arrivé aux Etats-Unis, les organisateurs de mon séjour m'ont demandé a ma grande surprise : " Que préféreriez-vous faire ici ? "


J'avais la réponse a portée de main : " jouer au tennis. " Les organisateurs de mon séjour se sont a premiere vue beaucoup amusés, mais, a part eux, ils devaient surement se dire : " Quels drôles de types que ces Slovaques ! Ils sont capables de parcourir une telle distance seulement pour jouer au tennis, alors qu'ils peuvent aussi le faire chez eux ?! "


Mais Legy savait, que le tennis ce n'est pas seulement poursuivre une balle avec une raquette, mais aussi la célébration du partenariat, une forme étrange de communication amicale. Et c'est donc dans une compréhension mutuelle et muette que nous avons tapé la balle. Il ne faisait pas aussi froid que le soir, le soleil dans le ciel dégagé réchauffait l'air frais de novembre et nous avions parcouru le chemin menant aux courts de tennis sans l'humiliant sifflement du compteur.
Les courts faisaient partie d'un complexe de loisirs pour les personnes de la résidence. Nous avions pu y entrer grâce a Aleš, une connaissance de Legy qui habitait la. Un nom typiquement tcheque pour un gars completement tcheque. Bien que plus âgé, il était plein d'énergie et d'idées. Par contre, il se plaignait systématiquement de quelque chose, meme s'il vivait carrément comme un prince par rapport a Legy. La chance lui souriait, comme a nous, comme il nous l'expliqua a propos au milieu de tout un bouquet de plaintes et de griefs : les boîtes aux lettres ici sont placées dans des sortes de pigeonniers souterrains sous le auvent. Chaque locataire se voit attribuer un enclos a pigeons avec une boîte fermant a clé. Tout cela se tient juste au sommet du chemin abrupt menant au centre de la résidence. Il y a peu de temps, notre Aleš s'était dirigé vers la boîte aux lettres dans sa nouvelle voiture et en était sorti pour prendre son courrier. Alors qu'il peinait vers sa propre boîte, il avait nettement entendu une sorte de choc et tout de suite, il avait vu et compris. Un abruti s'était garé avec négligence, n'avait pas actionné le frein de la voiture qui lors de sa descente dans la côte raide avait percuté le véhicule qui arrivait. Cet abruti était bien sur Aleš. Mais il avait eu de la chance, car s'il n'y avait pas eu ce véhicule, sa nouvelle Toyota aurait survolé dans un élégant flop le virage suivant et aurait fini dans le petit parc, vingt bons metres sous le niveau de la chaussée. Ce brave Aleš nous raconta cette heureuse aventure d'une voix brisée par les soucis et le pressentiment des autres horreurs qui allaient le frapper. Des avions survolaient les courts toutes les cinq minutes et se préparaient a atterrir a l'aéroport tout proche. Exactement comme a Wimbledon. Quand je lui fit part de cette prestigieuse comparaison, Aleš ajouta seulement avec tristesse qu'avec un telle fréquence de passage, la probabilité qu'un avion s'écrase juste sur ce court était inévitable. Et Aleš, dans l'infortune de sa vie, concederait surement la victoire dans le match de tennis. Pendant le changement de côté (nous jouions a l' " américaine ", qui est une combinaison symbolique du double et du simple) Legy me chuchota qu'Aleš qui annonçait sa malchance ostensiblement ne devait pas me déconcentrer. Il s'agit jusque d'un habile camouflage de l'avarice humaine dans la persévérance a s'enfoncer soi-meme. Dans la communauté locale des émigrés (dont quelques-uns sont a l'université ou travaillent Legy et Aleš) il se raconte qu'il s'est approprié (ou a en fait volé ?) les résultats scientifiques du groupe ou il travaillait alors avec ses compatriotes et qu'il avait essayé de les vendre (ou de les utiliser afin d'obtenir un meilleur poste). Mais Legy n'avait pas contrôlé cette information et, pris dans le plaisir du jeu, il avait choisi ce jour-la de ne pas observer l'honneteté d'Aleš au travail.


Aleš habitait cependant un lieu que nous aurions pu aussi qualifier de véritable Paradis du logement, semblable a celui qu'on nous avait seulement promis sous le socialisme. Je peux moi-meme en juger, puisque j'ai habité dans l'une de ces réalisations des promesses techniques.
Nos immeubles avaient été nommés "Beautés " par les constructeurs et notre rue s'appelait la " jolie rue " - tout cela pour que les familles nouvellement arrivées sachent ou elles allaient. La nouveauté, en dehors des magasins au rez-de-chaussée des bâtiments, était une piscine a l'usage des habitants de la résidence. Il l'avait construite d'apres une idée problématique faisant venir l'eau du ruisseau voisin, ce qui a pour effet qu'aujourd'hui encore, l'eau est soit saine et terriblement froide ou par moment tiede et bouillonnante comme dans un marais. Ils avaient de plus creusés au milieu de chaque carré de maisons de petits bassins peu profonds pour les enfants les plus petits. L'eau était seulement sale au départ et avec le temps ils avaient arreté de la faire couler. Les garçons et moi y jouions au hockey hiver comme été. La cerise sur le gâteau de cette résidence modele était la fontaine. Pas une fontaine ordinaire, mais une fontaine aux poissons dorés. Je me souviens de ces poissons dorés comme un enfant. Quand apres des années, j'ai des de nouveau aperçu la fontaine, les poissons n'y étaient plus. Apres tout ce temps, je n'y ai plus trouvé d'eau non plus. La fontaine avait été laissée a l'abandon et était devenue une fosse a ordures. Une sorte de dispositif d'utilité publique socialiste l'avait fait combler et y avait planté des roses. Personne ne s'occupait des roses et il ne nous reste de cette époque qu'une fontaine d'épines...


Le logis américain d'Aleš ne fournissait pas seulement aux habitants des courts de tennis gratuits, ce qui chez nous n'existait meme pas sous le socialisme, mais également un centre de fitness solidement équipé avec une petite fontaine a l'entrée. Je n'y ai pas vu de poissons dorés mais par contre, elle fonctionnait. Nous y sommes allés apres le tennis de façon tout a fait illégale, car Aleš nous avait quitté entre temps. Mais il nous avait laissé le code qui nous permit de convaincre le portier automatique de nous ouvrir. C'était peinard. Apres la barriere vous étiez non seulement accueilli par la fontaine, mais aussi par une piscine et au sous-sol par une salle de musculation avec sauna. Le tout pret a fonctionner, fonctionnel et judicieusement aménagé. Évidemment, nous n'avions pas oublié d'y emporter un peu d'anarchie slovaque - nous avions amené de la biere avec nous. Ce type de consommation sauvage dans un lieu public est interdit partout aux Etats-Unis. Mais nous étions seuls et avions adapté ce petit Paradis a nos habitudes.


(to be continued)

Wednesday, May 20, 2009

A la recherche du Paradis II

A la recherche du Paradis

(PART II)

Story by Gustáv Murín

De longues années plus tard, j'ai tenté de visiter un autre paradis. Legy avait émigré. Il avait fui la Slovaquie quand celle-ci faisait encore partie du Paradis socialiste promis sur Terre. C'était l'un des rares paradis que les gens fuyaient au péril meme de leur vie. Legy avait fui, attiré par la vision du Paradis américain. Le chemin qui y menait était un enfer de camps de réfugiés et de fils de fer barbelés aux frontieres. Legy réussit a passer tout cela (meme si sous le gouffre pres de Vernár il avait eu l'intention de finir a jamais dans un fossé), dans un camp de réfugiés il fit la connaissance de Zdenka sa future femme, ils parvinrent finalement a atteindre l'autre côté de l'océan, eurent une belle petite fille prénommée Lenka et s'installerent. Legy s'était établi a dessein au coeur meme du Paradis américain - a Nashville. Nashville est un lieu ou l'Amérique chante ses reves et ses espoirs. C'est un endroit ou les gens deviennent des étoiles, ou au moins des cometes. C'est le temple de la musique country américaine, et donc précisément des chansons que Legy nous jouait durant notre marche dans le Paradis slovaque. Grâce a lui, nous les avions hurlées jusque tard dans la nuit, comme de jeunes chacals faisant résonner toutes leurs indicibles aspirations dans le ciel nocturne. Legy avait donc réussi apres des années de préparation. Il était a présent la ou il voulait etre, et ce depuis huit longues années. Il était plus que temps de rendre visite a mon ami d'enfance et de gouter un morceau de son Paradis américain.

Á mon arrivée, Legy ne m'a pas donné le temps de reprendre mon souffle. La premiere chose que je devais voir (juste apres avoir été accueilli par une Zdenka curieuse de connaître les nouvelles de la patrie et une Lenka timide et curieuse envers cet étranger d'un pays inconnu qu'on nommait patrie) était le Wild Horse Saloon - Le Salon des chevaux sauvages.
" S'il y a bien quelque chose de terriblement américain, c'est ici ", me disait Legy pendant le trajet en voiture jusqu'au centre de Nashville. C'était le mois de novembre et il faisait déja froid la nuit. La voiture de Legy y réagissait par un grincement de protestation, du paraît-il au froid qui avait bloqué le compteur. Nous sommes donc parvenus au Wild Horse Saloon comme des pompiers, un sifflet jouant a tue-tete en guise de sirenes. Le Saloon était plein.

La salle principale est une imposante piste de danse avec un podium, sur lequel dansent les groupes de visiteurs de passage. Ils doivent s'y connaître car il y a beaucoup de pas et certains sont vraiment échevelés. Legy me le confirma de sa propre expérience. Il avait payé avec toute sa famille pour un cours d'entraînement aux danses country, précisément dans ce temple de l'amusement américain. Ils y avaient passé cinq samedis matin et étaient parvenus entre temps a oublier tout ce qu'ils avaient appris. Dans la seule grande salle, les moins doués forment un grand cercle et s'exercent avec leurs jambes au rythme de la country. Pour que ce soit parfait au sens américain du terme, des statues de chevaux sauvages sont fixées au dessus de leurs tetes et galopent vers le plafond.

Legy reproduisait le rythme de la musique de sa main sur la rampe de la galerie, d'ou nous avions une excellente vue. Je me penchais vers lui dans cet insensé ressac musical et lui braillais a l'oreille : " Je ne suis pas étonné que ça te plaise ici. On y trouve les plus belles nanas que j'ai pu voir jusqu'ici en Amérique. "

Legy m'observa attentivement pendant un moment, regarda en bas les couples qui dansaient et me cria de la meme façon a l'oreille : " Normal. Ici ce sont seulement les meilleurs morceaux qui viennent. Mais oublie ça. Tu n'as aucune chance. Ces filles ne nous aiment pas. "

Nous avons terminé notre Corona et Legy me tirais déja vers un autre local. En chemin, il m'expliqua qu'en tant que scientifique universitaire il était parfois amené a côtoyer au labo ce genre de sublimes filles que je venais de voir. Elles ne portaient ni jeans serrés, ni chemises fermées sous la poitrine, ni stetsons mais des blouses blanches. Tout aussi belles et tout aussi inaccessibles. Un émigré n'est pas en effet un parti avantageux pour une belle Américaine, comme me l'expliqua Legy d'un ton professoral. Une belle Américaine est en fait une denrée tellement rare qu'elle peut surement trouver mieux.

" Mais ", ajouta Legy familierement, " si tu veux profiter un peu du sexe je t'emmenerai avec plaisir au bon endroit. "

Ce bon endroit, c'était le AC-Club, que nous avons atteint peu avant minuit. Un horrible club, plein a craquer, enfumé. L'endroit est constitué d'une grande construction métallique qui ressemble a une cage, ou des gars se tiennent debout pres des tables du buffet (ici et la, apparaît rapidement une fille habillée bizarrement et trop maquillée) et regardent le grand mur, ou deux véritables cages sont suspendues au dessus de la piste de danse. Dans chacune d'elles, une fille a moitié nue se déhanche au son d'une musique rythmée. D'une certaine maniere, c'est un saut symbolique du siecle dernier a maintenant. Puisque chacun peut chanter et danser sur de la country, notre mission ici est claire : regarde, écoute, tais-toi ! Les bonnes habitudes des poivrots chantants slovaques ne servent vraiment a rien ici. Vous etes assourdis, aveuglés et abandonnés dans l'immense foule de ce club. La solitude vous suit ou que vous alliez. C'est pourquoi nous nous sommes tus Legy et moi, avons siroté nos bieres en regardant les cages dans lesquelles nous nous serions aussi bien sentis. Nous étions nous aussi en cage mais ce n'était pas aussi frappant. Le grillage autour de nous venait de l'assourdissant mur de musique.
Rendus muets par le spectacle de l'AC-Club nous n'avons pas non plus parlé en revenant a la voiture ! Une nuit froide et éclatante nous entourait au milieu de la ville ou des grattes-ciel rappellent les décors d'un film sur Superman. Il était trop tard pour une longue discussion comme en ont les amis qui se souhaitent la bienvenue et s'embrassent apres de longues années. C'était l'heure d'aller dormir.

(to be continued)

Wednesday, May 13, 2009

A la recherche du Paradis I

A la recherche du Paradis

(PART I)

Story by Gustáv Murín

Au cours de ma puberté, j'ai été surpris d'apprendre qu'un Paradis existait sur Terre et qu'il se divisait en Paradis slovaque et en Paradis tcheque. Il ne fut pas difficile de convaincre mes amis campeurs de choisir le premier des deux pour l'une de nos expéditions. Comme nous n'avions pas beaucoup d'argent, nous nous étions munis pour la route des instruments de survie fondamentaux suivants : un lot de soupes en sachets, deux cartouches de cigarettes sans filtres de marque Bystrica et une bouteille de borovička. Nous avions l'impression d'etre parfaitement équipés pour la version slovaque du Paradis.

Le chef de notre expédition, surnommé Monty, avait estimé a une semaine le temps nécessaire pour traverser le Paradis slovaque. Apres avoir atteint notre point de départ, un hameau qui comme dans les proverbes s'appelait Stratená (Perdue), nous avons constaté que notre tâche était réalisable en une rapide demi-journée de marche. Cela nous a tellement choqué (et a ébranlé notre confiance envers le guide) que nous avons grimpé la colline la plus proche, y avons allumé un feu et sifflé a trois toute la bouteille de borovička, ce qui nous a mis a terre pour les deux jours suivants.

Lorsque le troisieme jour nous avons été plus ou moins capables de bouger, nous nous sommes dirigés en suivant la carte vers le ravin de Rotter, que nous tenions tous trois pour quelque chose d'exotique qu'il fallait visiter au Paradis. On ne peut pas vraiment dire que nous avons visité le ravin de Rotter. Nous sommes presque littéralement tombés dedans, et ce lors d'un long schuss sur les fesses, nous agrippant parfois a des racines qui sortaient de terre ou a des troncs d'arbres. Le versant du ravin est en fait si raide, que pour Legy, le troisieme d'entre nous, une descente pas franchement contrôlée a brusquement provoqué une accélération du métabolisme. Comme il l'affirma, le besoin de se soulager avait été si grand et si pressant, que pendant que nous poursuivions avec Monty notre téméraire voyage sur les fesses, notre ami (le sac au dos et s'accrochant a l'arbre le plus proche) avait utilisé la meme partie du corps quelque part au milieu de la pente abrupte pour un besoin corporel assez indigne du Paradis. Ce fut notre premier enseignement : le Paradis slovaque n'affranchit pas des besoins corporels.

Nous allions vérifier assez rapidement la validité de cet enseignement. Le fond du ravin de Rotter est seulement constitué d'un ruisseau et d'un étroit sentier. C'est a peine si nous avons trouvé sur le petit morceau de terre sableuse un endroit un tant soit peu convenable pour y passer la nuit et c'est alors qu'est survenu un nouveau probleme : le pain nous manquait. Nous avons essayé de faire taire notre faim avec les cigarettes et les soupes en sachets. Seulement voila, du pain c'est du pain (deuxieme enseignement d'importance du Paradis slovaque !) et la-dessus notre guide a eu une idée géniale. Nous avons mélangé dans un chaudron tous les sachets de soupe portant l'inscription Bramboračka1 (N'ai-je pas mentionné qu'il existe aussi un Paradis tcheque ?) dont il devait parait-il se former une matiere tres semblable au pain. Dans cet espoir, nous sommes restés assis devant le feu toute la soirée. Nous fumions et mélangions cette étrange matiere bouillonnante en passant en revue les différents moyens de lutte contre la faim. Hélas, meme apres des heures de ce pieux rituel, le contenu du chaudron n'avait toujours pas l'air plus appétissant qu'au début et Monty, notre guide, déclara que le meilleur moment serait celui de notre réveil le lendemain, quand le mélange refroidi aurait laissé place au substitut de pain désiré. Durant la nuit, j'ai revé de la façon dont levait cette véritable pâte a pain dans le chaudron. Et au petit matin, je suis sorti en courant de la tente avec la ferme conviction d'etre le premier a confirmer la phrase biblique : " il partagea le pain et le distribua ". Seulement, le mélange a l'intérieur du chaudron ressemblait a tout sauf a quelque chose pouvant etre distribué. Sans parler de l'impossibilité de le partager. La croute épaisse et dégoutante du dessus nous dissuadait de le faire. Nous avions faim et ne savions pas ce qui allait suivre. On commença a faire du thé, a fumer cigarette sur cigarette et a se quereller. C'est alors qu'est apparu un authentique ange : un touriste tcheque et sa femme (parole d'honneur d'ancien membre de la Jeunesse communiste slovaque!). Ils marchaient dans le coin au petit matin et lui s'était arreté pour nous demander sur un ton jovial de campeur ce qui nous attendait de bon pour le petit déjeuner. La question de savoir pourquoi il avait abordé trois adolescents d'apparence certainement peu amene et qui plus est en état de famine et d'énervement avancé reste un mystere. Nous avons riposté que du thé et une marche pour du pain nous attendaient, ce a quoi il a répondu en sortant le sandwich qu'il avait préparé pour toute une journée de randonnée, il nous l'a donné, nous a salué et, comme les anges bibliques, il a disparu. Et sa femme aussi.
Nous nous sommes partagés le pain et, suivant les instances de Monty (qui était le seul a posséder une carte) nous nous sommes mis en marche pour le village le plus proche, nommé Vernár. D'apres notre expérience de son appréciation des distances, nous avions évalué la durée du chemin a deux petites heures. Seul le Dieu du Paradis slovaque sait par ou notre meneur éclairé nous a trimballé. Ce calvaire a duré toute la sainte journée et s'est achevé dans la raideur du Golgotha par ou nous étions déja passés, chacun a la force du poignet. Legy, qui s'était déja distingué lors de la descente du funeste ravin mentionné plus haut avait cette fois changé de répertoire. Il est tombé dans le fossé et, exactement dans l'esprit des pseudo films d'aventures soviétiques, il nous a prié de le laisser crever la. De son fossé, il s'est rapidement aperçu que nous n'avions accordé que peu de crédit a sa priere et qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule issue : que nous le laissions vraiment crever la.

L'un apres l'autre, nous sommes arrivés dans une taverne de Vernár, l'un apres l'autre. Nous n'étions pas tres loquaces et pas un de nous n'a parlé avant d'avoir mangé six brioches salées et bu trois demi-litres de Kofola. C'est seulement apres avoir mangé et bu que nous avons repris notre querelle au point ou nous l'avions laissée le matin. Ainsi s'acheva notre excursion au Paradis slovaque.

(to be continued)

1 Bramboračka : " soupe de pommes de terre ", en tcheque dans le texte.

Wednesday, May 6, 2009

MICKEY MOUSES II

MICKEY MOUSES
(PART II)
Story by Gustáv Murín

Les souris devaient elles aussi connaître la fin de leur période bénie sous la forme d'une remarquable nouvelle arme chimique appelée...et la je ne me souviens plus, ou plutôt je ne vais pas faire de publicité et nous l'appelerons symboliquement Anti-souris. C'est une substance formidable, qui comme tout ce qui est fatal et léthal, n'agit qu'apres un certain temps. Cela veut dire que vous nourissez les souris de granulés roses pendant quelques jours et qu'environ au cinquieme jour, des choses étranges commencent a se passer. Le poison anti-souris contient en effet certaines substances qui, pour des raisons connues seulement d'elles-memes et de leurs inventeurs, obligent les souris a sortir de leur trou et a littéralement agoniser sous vos yeux. L'empoisonnement a l'Anti-souris occasionne apparemment chez l'animal une sensation de soif et le besoin de sortir a la lumiere. Quoiqu'il en soit, le cinquieme jour, j'ai trouvé dans le jardin pres du puits deux souris tombées au front que nous avons été enterrer selon la tradition avec Veronika et Lucka. Alors que nous nous dirigions vers la porte arriere de la maison, je me suis soudain rendu compte qu'une souris assise sur le seuil nous observait.

Comme si elle s'exposait expres a notre attention. La substance active du poison n'avait pas encore completement anihilé ses réflexes naturelles de fuite et elle s'est donc enfuie un instant plus tard dans le trou de souris voisin, sous la clôture. J'en ai pris acte et ai continué mon chemin, mais apres un instant, la souris s'est une fois de plus mise en travers de mon chemin, exactement au meme endroit. Je pense que memes les spécialistes n'ont qu'une idée réduite de ce qu'il peut se passer dans l'esprit d'une souris, mais cela me paraissait etre la preuve évidente que cette souris-la pensait et qu'a cet instant elle réfléchissait a la maniere dont elle pourrait, dans cette situation de crise, demander la treve a l'homme.

Les souris s'informent peut-etre entre elles que les gens en savent pas mal a ce sujet, mais il serait exagéré de croire qu'elles sachent aussi que nous avons disposons d'un service vétérinaire.
De plus, on peut difficilement compter sur un tel service dans la région d'Orava. C'est pourquoi j'ai choisi l'option chasse. Je venais d'acheter un pistolet a air comprimé manquant a coup sur de précision et me suis résolu a expliquer son utilité a mes enfants.Je l'ai chargé et nous sommes partis de l'autre côté, celui du jardin, a l'affut de la souris a présent dans le cirage.

Debouts, nous attendions, mais je n'avais meme plus envie de viser le trou de la souris, c'est alors que ma petite Veronika m'a tiré par la manche et m'a chuchoté :"Papa, qu'est-ce que tu as sur la chaussure?"

Sur ma chaussure, j'avais notre amie la petite souris. Elle y était assise, regardait en haut vers moi et se disait "puisque vous etes si malins, vous les humains, quand commencerez-vous enfin a regarder sous vos pieds?". J'ai pris pour moi cette leçon et j'ai aussi pris la mignonne petite souris.

Elle s'est laissée emporter sans résistance jusqu'au bocal qui était déja pret a recevoir l'âme souriciere.

Les enfants se réjouissaient de ce jardin zoologique domestique et moi je méditais a ce que j'allais en faire.

Est-il possible d'aider une petite souris qu'on a essayé aussi farouchement d'empoisonner auparavant?

Ma chere épouse Janina se posa la meme question, et en guise de réponse, se tapota ostensiblement le front tout en me jetant de nouveau un regard lourd de sens. Oui, je l'avoue, je ne sais pas faire de bouche-a-bouche a une souris empoisonnée. Et bien sur j'ai des doutes quant au sens que peut avoir le sauvetage d'une souris dont nous voulions nous débarasser a l'origine.
Du coup, j'ai fait ce qu'ont l'habitude de faire les intellectuels lorsqu'ils ne parviennent pas a se décider : rien. C'était peut-etre plus humain, ou plutôt plus "sourissain".

La souris remplissait une fonction didactique. Au bout d'un moment nos cheres filles se sont lassées et sont parties jouer, pendant que la souris achevait lentement de respirer l'air du bocal et s'est éteinte, a moins que ce ne soit du au poison. Je n'en sais rien. Ce que je sais c'est que depuis ce moment-la je n'utilise plus le poison a souris Anti-souris. Je suis revenu au bon vieux piege a souris mécanique, mortel a cent pour cent et ne soulevant pas de questions philosophiques. Et parfois la nuit, quand je ne peux m'endormir, j'écoute en attendant qu'il claque.


(The End)

Traduit par Antoine Bienvenu, Guy Chayvialle et Diana Lemay