Wednesday, February 25, 2009

VOL DE MADRID

Apres trois mois de stage de recherche a Séville mes valises étaient enfin bouclées quand il s'est avéré que le collegue qui s'était proposé pour me conduire a l'aéroport était malade. Un autre collegue s'est immédiatement proposé. Nous sommes montés en voiture et avons pris la route. Apres quelques dizaines de metres mon collegue espagnol a hésité, a tendu l'oreille, a donné des coups de volant puis s'est arreté. Nous sommes descendus de voiture et avons constaté que le pneu arriere droit était a plat. Mon collegue paraissait calme. Il a sorti du coffre l'outillage nécessaire et l'a déballé. Il s'est aperçu alors qu'il lui manquait la clef pour démonter la roue. Les Espagnols sont réputés pour leur grande légereté dans les choses pratiques et pour leur certitude dure comme un roc que tout finit toujours par s'arranger. Dans ce cas précis, non loin de la une station service est tombé a pic. Mon collegue espagnol s'y est rendu, a acheté un nouvel assortiment d'outils et a essayé enfin de démonter la roue. Pas moyen. J'ai essayé aussi mais sans succes. Il a réessayé a son tour. Le temps qui passait me contraignait a démonter cette maudite roue a tout prix. J'ai forcé sur la clef et ...l'ai cassée. Mon collegue espagnol a remballé ses outils avec résignation et a regardé autour de lui, décontenancé. J'ai eu a ce moment-la la possibilité de m'assurer qu'en Espagne la civilisation fonctionne, malgré le penchant bien connu des Espagnols a improviser au dernier moment. On apercevait l'enseigne lumineuse d'un garage a une centaine de metres derriere nous. Nous avons poussé la voiture jusque la, les mécaniciens l'ont mise aussitôt sur un élévateur hydraulique et ont changé la roue en cinq minutes. Chez nous cela aurait pris cinq minutes aussi mais les palabres avec le mécanicien pour lui faire faire quelque chose en dehors du planning et sans réservation quinze jours a l'avance aurait pris au moins une demi-journée. Ainsi, a Séville j'ai eu tranquillement mon avion pour Madrid.

A Madrid mes amis m'attendaient. Pepé et sa femme Mercedes, Clara et Ivan, la sour et le frere de Mercedes, étaient tous venus m'accueillir. Ils savaient que j'étais déja venu une fois a Madrid quelques jours et ont donc décidé de m'emmener en week-end dans leur maison d'été, dans le petit village de Navaluengo pres de Salamanque. C'était un vendredi et mon avion pour Prague s'envolait le dimanche soir. J'ai passé deux jours merveilleux et ensoleillés a Navaluengo. Nous nous sommes bien amusés et promenés et nous avons beaucoup bavardé. J'ai aussi pris conscience que la vie nocturne ne commence ici qu'au moment ou chez nous, seuls les plus grands fetards sont encore debout. Donc nous dormions tard dans la matinée. Meme le jour de notre départ, dimanche, tout le monde ne s'est réveillé que vers onze heures. Nous avons pris le petit déjeuner sur la terrasse ensoleillée puis nous sommes allés nous promenés. C'est alors que Mercedes me demanda, juste pour savoir, l'heure exacte de mon vol.

" Sept heures du soir et il faudrait que je sois a l'aéroport a six heures. "A voir mes hôtes, j'ai compris a cet instant que ça n'allait pas. Pepé a demandé par acquis de conscience :

" Tu sais qu'on est passé de l'heure d'hiver a l'heure d'été ? Maintenant il est en fait une heure de plus que celle qu'indiquent nos montres ! "

Je savais bien sur qu'on changeait d'heure. Pour je ne sais quelle raison, j'avais en fait pensé que ce devait etre dans la nuit du dimanche au lundi, quand je serais déja assis paisiblement dans l'avion du retour. Il était une heure de l'apres-midi, deux heures en réalité. Iván, qui aurait pu m'emmener plus tôt était déja parti le matin et mes hôtes ont donc préparé avec une grande présence d'esprit un emploi du temps improvisé. Par malchance, celui-ci comprenait le déjeuner du dimanche : un bon repas dominical en Espagne ne se néglige pas. Nous sommes donc rentrés a la maison, les femmes ont fait la cuisine, nous avons fait les bagages, avons déjeuné, avons fait la vaisselle, avons rangé, avons fermé la maison et ...il était quatre heures de l'apres-midi. Pepé, qui conduisait, a déclaré qu'il y arriverait. A peine nous étions-nous mis en route que les jeunes femmes se sont endormis. Mais moi, redoutant la façon dont cela finirait, je ne pouvais pas penser au moindre repos. Pepé me souriait d'un air encourageant quand nous serpentions par les routes sinueuses de la Sierra espagnole de Guadarrama et quand nous devions nous insérer dans une file de voitures qui suivaient au rythme d'un escargot quelque dame au volant qui avait décidé de jouir des beautés du paysage. Malgré cela, tout ce serait bien terminé si nous avions pensé aux files d'automobilistes du week-end sur les routes qui menent a la capitale. Nous sommes restés coincés sans espoir dans l'une d'elle a encore dix kilometres de Madrid. Les femmes se sont réveillées et ont commencé a se concerter en espagnol avec Pepé. C'était désespéré. Nous nous trouvions dans une colonne qui n'avançait qu'au pas. Pas moyen de s'en échapper, de doubler, il n'y avait qu'a se traîner avec les autres. Je savais que c'était mal parti. Mais pour corser le tout, j'avais terriblement besoin de m'isoler ; seulement, il n'y avait nulle part ou aller. On ne voyait que la plaine aride et dénudée a des kilometres a la ronde ; pas la moindre petite bosse derriere laquelle aller. La colonne aurait pu, juste a ce moment-la, se mettre en mouvement de façon inattendue ; et courir en tenant mon pantalon jusqu'a la voiture sous les coups de klaxons outrageants...j'ai préféré me retenir. La scene était prete pour une parfaite piece tragi-comique.

Mercedes et Clara m'ont consolé. Mercedes en slovaco-russe car elle avait étudié les deux langues. Elle était meme allée en Slovaquie avec Pepé et ça leur avait plu. Toute leur bonne volonté ne pouvait rien contre les faits qui se rappelaient sans cesse a moi. Si je manquais mon avion, il n'y avait pas d'autre vol avant quatre jours. Sans parler du fait que j'avais un billet d'avion a date fixe que normalement on ne peut pas changer et le mercredi suivant j'avais une nouvelle conférence en Hongrie.

" Calme-toi, Gustáv, si nous n'arrivons pas a temps, nous ne nous arreterons pas tant que nous ne t'aurons pas conduit jusqu'a Bratislava. "

Mercedes avait beau me consoler, de désespoir, j'ai préféré ramener mon blouson sur ma tete et essayer de dormir. Je pensais qu'au moins ainsi je ne penserais a rien mais ça a été exactement le contraire : les enchaînements d'idées les plus bizarres ont commencés a me venir a l'esprit.

Je ne sais pas si vous croyez aux mysteres du voyage mais moi je rencontre régulierement au cours de mes voyages des phénomenes qui sont, sinon mystérieux, pour le moins remarquables. Par exemple le voyage aller pour l'Espagne devait déja me mettre en garde sur ce qui m'attendrait au retour. Le matin ou le car de la ligne réguliere devait nous conduire a Prague située a quatre cent kilometres il y a eu tout d'un coup un tel verglas que les gens ne pouvaient pas faire plus de deux pas sans tomber sur le trottoir. Je ne pouvais pas dormir, comme avant chaque grand voyage, et j'ai donc vite appelé la collegue qui partait avec moi pour lui dire que nous devions, pour le salut de notre voyage, prendre le train au lieu du car. Le train ne dérape pas. Mais a cause du départ plus tardif du train nous avions tres peu de temps pour nous rendre de la gare de Prague au bureau de la compagnie aérienne et prendre le bus pour l'aéroport. Malgré cela, ma compagne de route s'est mise dans la tete qu'a Prague il fallait aller prendre une biere au kiosque. Ce diable de bonne femme a failli me faire avoir une crise cardiaque. Elle avait reçu la meme bourse que moi mais elle, c'était pour étudier le flamenco a Madrid. Ce n'était pas une personne simple mais contrairement a moi elle possédait une parfaite connaissance de l'espagnol, la capacité de se préparer ses repas elle-meme et l'expérience d'un séjour d'un an a Paris. On pourrait penser qu'elle comprendrait qu'il est dommage de rater son avion a cause d'une biere. Mais elle ne le comprenait pas et ainsi nous sommes arrivés en retard a la station de bus. C'était dimanche ; le bureau de la compagnie aérienne était déja fermé et le prochain autobus partait pour l'aéroport apres le départ de notre avion. Nous étions perdus. Mais avant que je n'eusse le temps de bien m'énerver est apparu mon ancien ami de Prague a qui j'avais écrit que nous pourrions peut-etre nous rencontrer a cet endroit en attendant l'autobus. Comme un ange céleste prévoyant il est arrivé avec le taxi de son ami et nous a conduit a temps a l'avion qui attendait. Maintenant, en sens inverse, encore un dimanche, j'étais de nouveau pressé sur le trajet de l'aéroport et l'issue dépendait de la meme façon du bon vouloir de mes amis. Et pour que ce soit complet, cette fois aussi une biere, celle que j'avais prise en plus du déjeuner, me le rappelait de façon dramatique.

La file de voitures s'ébranla. Dans les petites collines avant Madrid nous montions sur des petits sommets comme pour voir que derriere il y avait encore un autre. Nous nous déplacions au pas dans ce désert sur l'unique route et malgré ça, nous sommes finalement arrivés a l'endroit ou toute la calamité de la circulation avait commencé. Enfin nous avons débouché sur le périphérique. Les maisons et les quartiers autour de nous défilaient tres rapidement alors que Pepé dépassait toutes les vitesses autorisées. Mais nulle part d'aéroport. En plus, mon besoin de visiter les toilettes atteignait des degrés incroyables d'urgente nécessité. Mais arretez-vous au milieu du périphérique quand il ne reste qu'une quinzaine de minutes avant le décollage de votre avion ! Et c'est ainsi que des voyageurs occasionnels ont été témoins d'un phénomene inhabituel sur l'aéroport international de Madrid en ce dimanche soir.

A grande vitesse et dans des grincements de freins a surgi une voiture d'ou est descendu un jeune homme inconnu qui s'est précipité sans un regard pour ce qui l'entourait dans le hall de l'aéroport. Le chauffeur de la voiture s'est effondré sans bruit derriere son volant, conscient d'avoir réussi. Puis c'était le grand numéro des deux jeunes femmes du siege arriere : elles ont sauté de la voiture, ont sorti du coffre les valises de l'inconnu et ont couru avec elles a l'enregistrement. Seulement il manquait les papiers.

Je peux vous assurer que les femmes espagnoles ne se laissent pas décontenancer dans les moments critiques. Elles sont entrées dans les toilettes des hommes et m'ont expliqué rapidement la situation. Je leur ai passé mon passeport et mon billet d'avion par-dessous la porte métallique et elles ont disparu. Entre-temps je me suis enfin débarrassé des urgences et en me rhabillant j'ai traversé en trombe le hall de l'aéroport. Mercedes et Clara ont juste eu le temps de me tendre mes papiers et la carte d'embarquement, je leur ai fait un signe d'adieu, ai passé tous les contrôles et les détecteurs électroniques en courant avec de grands clins d'oil des douaniers et des policiers, ai trouvé dans ma course la bonne porte de sortie vers mon avion, a couru sur le terrain d'aviation jusqu'au bus de l'aéroport et a sauté dedans juste avant la fermeture des portes. Cela a couté plusieurs verres de cognac a la ČSA, la compagnie aérienne tchécoslovaque, pour que je reprenne tous mes esprits, en sécurité sur le siege de l'avion, côté fenetre.

Traduit par Catherine Hubert

Wednesday, February 18, 2009

TROUVER LE BON CHEMIN

                                  TROUVER LE BON CHEMIN
                                            Histoire indienne

'ai un ami du nom de Pavol Malovič. Si je lui dis parfois ou mes obligations du moment me conduisent n'importe ou dans le monde, non seulement il sait aussitôt ou se trouve la ville dont je lui parle, mais encore il me conseille d'aller voir une attraction locale. Comme je m'appretais a partir pour une conférence internationale a Lucknow (dont beaucoup ne connaissent pas l'existence ; moi-meme je l'ignorais ; en fait, c'est en Inde), mon ami Pavol m'a parlé d'une curiosité : un labyrinthe que je ne devrais pas manquer. Heureusement les organisateurs de la conférence scientifique internationale étaient aussi de cet avis. Un guide touristique professionnel nous a conduits au labyrinthe de Lucknow. C'était un parfait imbécile. En prélude a notre visite de la ville, il nous a tout de suite annoncé qu'il allait nous prouver que Lucknow était le Paris oriental. A cet effet il nous a traîné par une chaleur suffocante, dans un autobus qui pouvait avoir connu la mobilisation pendant la premiere guerre mondiale, a travers une ville sale et délabrée et nous a montré les monuments qui, selon son imagination uniquement, pouvaient rivaliser avec ceux de Paris, y compris les égouts. Ce quadragénaire énergique souffrait de cet aveuglement intéressant que l'on rencontre aussi en Russie, par exemple. C'est l'instinct de conservation des gens qui sont toute leur vie jusqu'au cou dans un cloaque et qui, pour conserver un minimum de dignité humaine (conscients qu'il n'y a pour eux aucune issue possible), se persuadent et persuadent les autres que, si ce cloaque n'apporte rien, au moins il sent bon. Entre parentheses, notre guide avait sur son revers un petit insigne russe et il est tout a fait possible que le style ampoulé de ses commentaires ait plu justement aux touristes russes. Ils y sont habitués chez eux. Quant a moi il me tapait vraiment sur les nerfs. C'est pourquoi j'ai profité de la premiere occasion pour échapper a son indésirable sollicitude. Cette occasion ne s'est présentée qu'a l'intérieur du labyrinthe. Le labyrinthe de Lucknow est un édifice vraiment remarquable. Parce que, contre toute attente, il n'est pas souterrain mais forme le premier étage du palais principal qui abrite le mausolée. En outre, il est étonnamment simple, clair, rectiligne. Ses couloirs font le tour de la salle principale du palais et débouchent sur l'intérieur de la salle aussi bien que sur l'extérieur du bâtiment. Les dénivellations des couloirs sont le seul élément déconcertant : vous devez monter quelques marches pour redescendre aussitôt au niveau précédent. J'avais le sentiment que les plaisanteries ennuyeuses du guide au sujet de son prédécesseur qui s'était une fois perdu la dépassaient déja les limites tolérables de sa sous-estimation a notre égard. J'ai laissé s'éloigner tout le groupe avec le guide en tete et j'ai vite tourné dans le passage transversal le plus proche. Enfin seul ! Pendant un court moment j'ai ressenti un soulagement triomphal. La voix criarde, amplifiée du guide s'éloignait quelque part derriere le mur. Enfin je pouvais me promener librement, jeter un coup d'oil par les petites fenetres que je rencontrais de temps en temps, essayer les divers embranchements, penser a mes préoccupations et - me perdre.

Quand j'ai réalisé que j'étais perdu, cela ne m'a nullement inquiété. Je présumais que le labyrinthe était si petit qu'il me suffisait simplement de marcher et que j'arriverais a une sortie. Mais plus je marchais, plus je me persuadais qu'il n'existait aucune autre issue que celle par laquelle nous étions arrivés (et que j'avais completement perdue sur le plan que j'avais en tete). Il n'existait que les escaliers qui reliaient entre eux les étages du labyrinthe. J'ai monté des marches et, de façon inattendue, je me suis retrouvé sur le toit vide et plat du palais. Une intéressante vue sur le coucher du soleil au-dessus d'un Paris oriental sans attrait s'est offerte a moi. Pourtant une scene banale m'a beaucoup plus intéressé, en bas, dans une cour sale derriere le palais. A l'écart des lieux destinés a l'émerveillement des touristes il y avait la une cabane et des tas d'ordures. Devant la cabane j'ai vu une femme en noir et tout autour des enfants qui couraient sur la décharge. La femme était silencieuse et regardait le jeu des enfants avec cette résignation fataliste que vous rencontrez partout ou la pauvreté se trouve trop proche, ou la vision d'une vie digne est inaccessible. Les enfants étaient bruyants, joyeux, insouciants comme tous les enfants du monde.

Mais leur jeu obéissait a une étrange regle. Bien qu'a premiere vue impétueux et espiegles jusqu'a l'irresponsabilité, ils ne se déplaçaient jamais au cours leurs poursuites insouciantes que dans la limite d'un cercle aussi invisible qu'infranchissable. Il y avait dans leur indocilité enfantine une discipline terrible qui les empechait de transgresser les frontieres pressenties du possible. Pleins d'énergie, d'espoir, de désirs encore inexplorés, ils s'emberlificotaient dans un dédale de corridors sans issues, tout comme moi dans le labyrinthe au-dessus d'eux. Je ressentais cela comme quelque chose d'étrangement proche, presque physiquement intime, comme si j'étais l'un de ces enfants. Le fait que je me tenais nu-pieds, tout comme eux, sur la terrasse au-dessus d'eux, m'y aidait. On ne peut pas pénétrer dans le labyrinthe avec des chaussures. Aussi les avais-je laissées dehors ainsi que mes chaussettes et maintenant, debout dans la poussiere jusqu'aux chevilles, je me sentais peu sur de moi et désagréablement dénudé. De surcroît il m'est venu a l'esprit qu'avec le soir et la nuit froide qui s'approchaient d'autres groupes de touristes ne passeraient surement plus par ici. Et que notre imbécile de guide pourrait facilement m'oublier la au moins jusqu'au lendemain matin. Nous formions un grand groupe de scientifiques de diverses nationalités qui ne se connaissaient pas les uns les autres et bon gré mal gré, je devais reconnaître que je ne manquerais a personne, au moins d'ici une douzaine d'heures. Une idée m'a envahi l'espace d'un instant en m'a fait froid dans le dos : pour quelque absurde raison, je ne devrais plus jamais sortir de ce labyrinthe de Lucknow autrement qu'en rejoignant en bas cette femme et ces enfants et en restant pour toujours dans leur labyrinthe de misere sans issue. Idée dont j'étais d'autant plus proche que je commençais a peine a savourer le sentiment d'appartenir a un autre monde, un monde d'abondance. Maintenant j'avais la possibilité de voir de véritables pauvres. En bas, au-dessous de moi, une scene banale et cruelle de la vie se déroulait pendant que moi, sur le toit du labyrinthe de Lucknow, j'avais encore une chance de ne vivre qu'une épreuve passagere et peut-etre terrible qui, avec le temps et une fois de retour chez moi, plongerait inéluctablement dans le sac sans fond de ces histoires de voyage toujours joyeuses et qui toujours finissent bien. Je n'arrivais pas a regarder longtemps en bas cette décharge avec ces etres humains qui, contrairement a moi, n'avaient pas choisi cette aventure de labyrinthe sans issue. J'ai regagné rapidement le labyrinthe par les escaliers, bien décidé a trouver, cette fois-ci, la sortie. Au bout d'un moment des voix insouciantes au milieu desquelles j'ai reconnu aussi, sans le moindre doute, le haut-parleur vagissant de notre guide, sont venues a mon aide. Aussitôt apres j'ai aperçu au bout d'un de ces longs couloirs rectilignes notre groupe qui sortait par l'escalier principal devant le palais. Je l'ai rejoignit avec grand plaisir...

Traduit par Catherine Hubert

Wednesday, February 11, 2009

HISTOIRE TRISTE D'UN ALPINISTE

                                 HISTOIRE TRISTE D'UN ALPINISTE

Les petits pays n'ont que de petites chaînes de haute montagne. Les Hautes Tatras sont comme un Himalaya de poche. Bien qu'elles soient petites, on peut encore grimper dans des lieux ou on ne risque pas de se faire piétiner par une foule de touristes. Et c'est bien pourquoi notre héros, un petit alpiniste tenace, s'en alla faire une randonnée solitaire sur les plus hautes cretes. Il faisait partie de ceux qui détestent profondément ces masses de touristes qui saccagent l'environnement et ne respectent pas les principes élémentaires de la cohabitation avec la montagne. Il choisit donc un chemin désert pour pouvoir se trouver seul face a la majesté de mere Nature. Mais, comme souvent en montagne, apres quelques heures le temps changea soudain et notre alpiniste comprit que la solitude n'a pas forcément que des agréments. Il se trouva pris dans la tempete sur une pente non protégée. Il luttait contre le vent, la pluie et le froid. Il était perdu et luttait pour survivre. Face aux bourrasques glacées il continuait de lutter a chaque pas, non pour arriver quelque part mais simplement pour bouger et ne pas mourir gelé. Il avançait tres lentement si bien que la nuit le rattrapa. Elle lui rendit en meme temps l'espoir. Grâce a l'obscurité, il vit au loin la petite lumiere d'un refuge isolé. Il marcha encore pendant des heures et la petite lumiere le guida infailliblement, jusqu'a ce qu'enfin, completement épuisé, il s'écroule a l'entrée du refuge chauffé. Le vacarme assourdissant d'un groupe de touristes allemands l'accueillit. Ils étaient montés au refuge dans la matinée par le téléphérique et ils s'étaient rendus directement au bar. La, ils avaient appris qu'il était impossible de redescendre a l'hôtel a cause de la tempete. Ils avaient accepté cette nouvelle avec enthousiasme et l'avaient célébré dans la foulée en commandant une nouvelle tournée de la fameuse borovička, le gin slovaque. Le soir promettait un agréable épisode au bar.

De tout cela, notre héros ne savait rien. Avec l'aide du personnel du lieu, il put boire silencieusement dans un coin un thé brulant et réussit a se traîner non sans peine jusqu'a la grande chambre commune ou il s'effondra tout habillé sur le lit le plus proche. Épuisé, il s'endormit instantanément. Il ne reva pas longtemps : quelque chose l'arracha subitement a sa quasi inconscience. Il ouvrit les yeux et vit pres de lui dans l'obscurité un tableau horrible, une chose immense, brillante et indéfinissable qui s'abattit brutalement sur lui. Elle ressemblait a une lune ou plutôt a deux demi-lunes accolées, si horriblement proches que notre héros en fut pétrifié, comme si le ciel entier s'effondrait sur lui. Avant qu'il puisse pousser un cri de terreur, cet objet dégringola sur notre petit alpiniste sec et musclé. Il eut instantanément le souffle coupé sous le poids de deux gros et robustes corps bien en chair. Le destin voulait que notre héros ne reprît plus sa respiration. Chaque fois qu'il essayait de reprendre son souffle, le poids des deux corps le clouait a nouveau sur le lit, effroyablement, implacablement. Ils étaient tellement immenses que seuls les pieds et les mains de notre héros en dépassaient, minuscules. On aurait dit une souris écrasée sous une chaussure de randonnée a solides crampons. Notre héros n'arriva meme pas a pousser un petit cri de souris. Les deux corps l'étouffaient en mesure et non seulement ils ne lui laissaient pas reprendre sa respiration, mais encore ils chassaient le peu d'air qui restait dans ses poumons. Alors il comprit enfin.

Sur son pauvre corps amaigri et naturellement petit, deux gros tas de graisse faisaient du trampoline, deux monceaux de gelée humaine bien nourris, agités par la sauvagerie soudaine et frénétique de la passion destructrice, sous l'effet d'une quantité démesurée d'alcool. Leur étreinte passionnée était plus terrifiante qu'une avalanche qui, elle, ne tombe qu'une fois. La, deux corps gélatineux s'unissaient en un pilon lubrique de deux cents kilos qui, sans pitié, martelait rythmiquement notre malheureux héros jusqu'a en extirper le moindre soupçon de vie. En vain il essayait de crier. Chaque fois qu'il ouvrait la bouche, un nouveau coup de pilon lui faisait ravaler ses mots. Il ne pouvait meme pas bouger sous cette masse qui, s'il ne mourait pas d'épuisement tres vite, l'acheverait certainement tôt ou tard. Alors, en ce moment cruel ménagé par le destin, notre héros s'aperçut avec horreur qu'il n'était pas si terrible de mourir de froid et d'épuisement en quelque lieu désert, dans une crevasse, ou encore expirer étouffé sous une avalanche. A notre époque de tourisme planétaire une nouvelle mort vous guette, pire encore. Plus horrible car elle est d'une banalité risible et ridicule, a l'opposé de tout romantisme ou de tout héroisme. La mort dans une grandiose solitude au milieu des neiges n'a rien d'affreux a côté de la mort dans la chaleur d'un refuge, la mort sous un couple de touristes allemands bourrés et obeses qui ont décidé par inadvertance de s'adonner au plus grand plaisir de la vie, précisément, sur votre corps épuisé...

Traduit par Matthieu Guinard



Available in E-book at:  http://itunes.apple.com/sk/book/le-monde-est-petit-world- is/id554104733?mt=11

Wednesday, February 4, 2009

UN MIRACLE DANS LA VILLE SAINTE

UN MIRACLE DANS LA VILLE SAINTE
 Histoire italienne


Rome, la Ville Sainte, est une suite admirable et imposante de monuments historiques, d'églises et de temples. Mais le dimanche, aux alentours de midi, elle est calme et endormie comme un petit village d'une vallée oubliée. Et c'est justement dans un moment pareil que notre autocar de tourisme s'est arreté aux portes du Vatican.

" Vous avez une heure pour visiter les alentours ou faire des achats ", a déclaré avec optimisme notre guide. Manifestement il n'avait pas remarqué qu'il n'y avait pas un magasin en vue et qu'il n'y avait pas non plus grand-chose a voir. La majeure partie de notre groupe de touristes a tout de suite laissé de côté cette proposition et s'est concentré sur des objectifs pratiques tels que la recherche de toilettes ou la dégustation de la derniere boîte de pâté qui restait encore des provisions de chacun. Mais ma femme et moi nous étions investis d'une mission importante, a savoir acheter quelque chose, au besoin n'importe quoi, pour persuader nos parents a la maison que nous nous étions vraiment rendus en Italie. Et comment aurions-nous pu leur expliquer que nous n'avions rien acheté de " typiquement italien " alors qu'a Rome on nous avait laissé le temps de le faire ? Nous avions bien le temps mais, pour ce qui est des achats, cela semblait désespéré.

" Nous n'avons pas de chance ", a dit ma femme, " peut-etre que nous réussirons tout de meme a acheter quelque chose sur la route du retour."

" Il ne faut pas compter la-dessus. Nos chauffeurs vont conduire si vite qu'ils s'arreteront a peine a la frontiere. " Il me semblait qu'un miracle était la seule et unique solution. Et ou donc cela pouvait-il se produire si ce n'est dans la Ville Sainte ?

" Allons - y ! " ai-je dit fermement.
" Ou ?" a demandé ma femme.
" Allons - y et nous verrons bien ", ai-je répondu en me mettant en route. Ma femme m'a suivi, comme des générations de femmes avant elle ont suivi leurs époux débiles - avec mauvaise grâce et résignation. A tout le moins, nous bougions.

J'ai choisi la direction instinctivement. A partir de la place de la basilique Saint-Pierre, a gauche, par une longue rue déserte. C'était désespérant. Non seulement il n'y avait pas une boutique ouverte dans toute la rue, mais il n'y avait tout simplement aucun magasin. Mais j'ai persisté dans l'idée qu'enfin il en apparaîtrait un. Ma femme n'avait meme plus envie de protester. En fait, nous ne nous parlions pas vraiment, il n'y avait plus rien a dire. A cette heure brulante de midi, le seul bruit que nous entendions étaient l'écho de nos pas et, par les fenetres, les voix des convives melées aux bruits des couverts, caractéristiques de cette fete qu'est le repas dominical. Il est difficile de s'imaginer une expédition plus désespérée. Mais cela n'a pas duré longtemps. Apres quelques centaines de metres, nous nous sommes retrouvés a la périphérie de la ville ! Il n'était pas facile de croire qu'une ville si imposante se terminait a si peu de distance du centre, mais tout semblait indiquer qu'il n'y avait plus nulle part ou aller. La rue prenait fin pour se transformer en une route qui conduisait, apres un virage, a une espece de foret. Il était réellement malaisé de trouver un endroit moins propice aux achats.

Ma femme s'est mise a sourire tout comme des générations de femmes avant elle lorsqu'elles veulent démontrer triomphalement a leur fou de mari que justement cette idée-la n'est pas la meilleure. J'ai voulu lui dire quelque chose, mais il n'y avait rien a dire. Notre quete du miracle s'achevait. Cette idée n'avait pas marché. Il était plus que temps de rentrer.

Alors, nous nous sommes retournés - et c'était la. Non seulement nous avons vu enfin une boutique ouverte, mais bien plus, tout un supermarché ! Il se trouvait de l'autre côté de la rue et, de la direction par laquelle nous arrivions, il était caché par les maisons. Il n'était pas grand mais suffisait pour nos achats. Cela n'a pas été long. Nous étions les seuls clients et dans tout le magasin il n'y avait qu'une vendeuse. Au moment ou nous nous approchions d'elle avec un caddy rempli " d'importants cadeaux typiquement italiens ", j'ai avisé un rayon de rasoirs. Vous connaissez certainement ce paradoxe - vous pouvez acheter un rasoir ordinaire a bas prix (ou meme le recevoir gratuitement) mais les lames, elles, sont diablement cheres. Et il y en avait ici un large choix et a un prix assez raisonnable. J'en aurais bien ramené quelques-unes a la maison. Cela aurait été certainement un achat judicieux. Mais il y avait un probleme. Il ne nous restait plus d'argent. Nous sommes restés indécis devant le rayon un moment et avons calculé quels cadeaux reposer sur les rayons afin que je puisse m'acheter des lames. Mais nous avions déja par ailleurs raccourci notre liste de cadeaux et il n'était pas possible de se débarrasser ne fut-ce d'un seul. En fin de compte les miracles ont des limites. J'ai du renoncé a cette idée. Nous nous sommes dirigés vers la caissiere et avons commencé a déposer les achats sur le comptoir.

Pendant que je payais, ma femme Janina avait remis les cadeaux dans le caddy et s'était dirigée vers la sortie. Je lui emboîtais le pas quand quelque chose est tombé brusquement du chariot. Alors que j'allais le ramasser, je suis resté interdit. En effet, du chariot était tombée une petite boîte de ces lames qui nous avaient fait tant hésiter. J'ai regardé Janina mais elle était occupée a répartir les cadeaux dans des sacs en plastique. J'ai regardé la caissiere, elle ne nous pretait aucune attention. Alors j'ai ramassé ce cadeau du ciel et je suis allé le montrer a Janina. C'était incroyable. Il n'y avait pas d'explication au fait que ces lames aient pu se retrouver dans le caddy. Nous ne nous étions absolument pas approchés de ce rayon, nous nous étions simplement arretés devant lui un instant. Rien de plus. Et maintenant elles se trouvaient la dans mes mains ; l'instant d'apres, Janina les avait mis sans hésitation avec les autres articles dans un sac en plastique.

" Tiens, génie des achats, et en plus un cadeau du bon Dieu ", a-t-elle dit en me poussant en direction du car.

Il faut reconnaître que c'était un petit miracle. Je dois juste ajouter quelque chose - je ne suis pas un expert en lames de rasoir et il semble que Dieu non plus. Dans le rayon de ce centre commercial, j'avais vu des lames qui, me semblait-il, convenaient a mon rasoir. Mais je faisais erreur. Lorsque je suis revenu chez moi, je me suis rendu compte que les lames de cet achat miraculeux a Rome m'étaient a peu pres inutiles. En fin de compte, les miracles ont vraiment leurs limites.

Traduit par Alain Moulia




Available in E-book at:  http://itunes.apple.com/sk/book/le-monde-est-petit-world- is/id554104733?mt=11