Wednesday, December 31, 2008

UN BILLET D'AVION POUR LE CIEL

                                              UN BILLET D'AVION POUR LE CIEL

C'était le bon temps ! C'est une phrase bien connue chez nous. Chaque fois que nous voulons nous plaindre c'est cette phrase qui revient. Et nous nous plaignons tout le temps. C'est la raison pour laquelle je n'aime pas ça. Je me suis toujours considéré comme un optimiste réaliste. Je dois tout de meme reconnaître que pour les voyages dans l'immense toile mondiale des lignes aériennes, le bon temps est vraiment fini. Les gens ont appelé le passage du 19e au 20e siecle la " Belle Epoque ". La premiere guerre mondiale a brutalement interrompu cette belle époque. La guerre contre le terrorisme a brutalement interrompu l'âge d'or des voyages au tournant du 20e siecle.

S'envoler vers les nuages était un vieux reve de l'homme. Les compagnies aériennes avaient pour mission de vendre des billets pour ce reve : faire voler et atterrir en sécurité. Pour persuader les gens que ce reve était réalisable, au début du 20e siecle, on organisait a bord des avions d'autrefois, alors tres rudimentaires, des soirées dansantes ; on servait meme la biere directement des tonneaux (aujourd'hui, on considérerait cela comme une bombe potentielle). Soit dit en passant, c'était la compagnie aérienne tchécoslovaque Československé aerolínie qui se vantait de servir de la biere de cette façon. Dans les années 60 encore, le voyage en avion était une petite aventure et les petits sacs en cas de besoin n'étaient pas a côté de chaque siege par hasard. Mais prendre l'avion a la fin du 20e siecle était un plaisir. Les avions étaient grands, confortables, surs et ils volaient pratiquement par tous les temps. Les meilleures compagnies programmaient le vol de maniere a ce que vous preniez l'avion l'apres-midi, qu'ils vous donnent a manger, qu'ils puissent baisser les lumieres et faire la nuit. Ainsi vous vous réveilliez le matin, dans un pays exotique situé a neuf mille kilometres. Toutes les compagnies organisaient de vrais festins a bord de leurs avions. A Malaysian Airways, une des meilleures compagnies aériennes au monde, pendant le vol, on servait a votre demande des cocktails a volonté dans la classe touriste. Lors d'un vol avec cette compagnie j'ai eu pour la premiere et unique fois de ma vie l'occasion de voir les passagers chanter de joie. C'étaient des entrepreneurs moraves qui se réjouissaient d'une cave apparemment inépuisable et surtout gratuite au bar de l'avion, malgré les inondations dans leur pays natal. La mission des compagnies aériennes consistait a vous persuader qu'en montant a bord de leur avion vous entriez au paradis des voyageurs ou de magnifiques créatures célestes, pretes a réaliser tous vos souhaits angéliquement innocents, s'occupaient de votre bonheur. Comme preuve, l'hôtesse de l'air malaise, Elyane, avait passé la nuit aupres de moi lors de mon retour quand j'étais tout en sang comme si j'avais rencontré le tigre de Malaisie.

Aujourd'hui, la situation est tout autre. Et comme d'habitude, ce sont les Américains qui ont commencé bien avant la guerre contre le terrorisme. Dans le cadre du processus de baisse des prix des billets d'avion, ils ont instauré des " vols cacahuetes ". Sur ces vols-la vous aviez vraiment droit uniquement aux cacahuetes et au coca (mais en réalité, il y avait plus de glace que de coca). Puis, quelqu'un a découvert que chaque trois millionieme passager pouvait avoir des boutons, ou meme une crise, a cause de ce petit paquet de cacahuetes, et depuis ils nourrissent non seulement ce trois millionieme passager mais aussi les deux millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres passagers par un ersatz - les petits bretzels. A la différence des bretzels, les cacahuetes étaient mangeables. Je peux vous l'affirmer. Pendant mon voyage d'Oklahoma a St. Louis, de St. Louis a Washington et de Washington a New York, qui a duré une demi-journée, j'ai reçu a chaque fois un coca (ou plutôt de la glace arrosée de coca) et un nouveau petit paquet de bretzels non comestibles. Croyez-moi, avec ce genre de régime vous (ou n'importe qui d'autre a part ce trois millionieme passager qui s'était déja écroulé en mangeant les arachides) pouvez facilement avoir des boutons ou meme une crise. Certainement une crise de faim. Cette mauvaise habitude s'est, apres la faillite de plusieurs grandes compagnies aériennes, vite répandue aussi en Europe. Et comme cela arrive souvent, ceux qui veulent etre plus royalistes que le roi ont eu le dernier mot. Je me souviens de cette époque ou on devait payer pour la biere (ou pour n'importe quel alcool, mais ils n'avaient que de la biere) sur les lignes intérieures américaines. Aujourd'hui sur les lignes Bratislava-Munich ou Oslo-Tromso la vendeuse de bord remplace l'hôtesse de l'air dans son rôle d'ange d'accueil, et on doit payer pour tout ce qu'on prend. Les temps changent, il faut payer, meme au ciel. Je peux comprendre qu'on ne fume pas a bord d'un avion (meme si je n'arrive pas a comprendre comment certains fumeurs peuvent le supporter durant des heures). Mais ces derniers temps une poignée de fous furieux est en train de se regrouper. Ils aimeraient interdire aussi l'alcool a bord des avions car chaque trois millionieme passager pourrait etre ivre. A cause de ce passager il faudrait interdire aux deux millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres passagers de regarder ne serait-ce qu'un dentifrice, car lui aussi contient de l'alcool.

Les prédictions d'une femme-douanier désagréable, une bonne femme russe qui faisait son service a l'aéroport de Tbilissi se sont malheureusement réalisées. Quand j'ai protesté contre la maniere arrogante dont ils nous fouillaient a l'entrée de l'avion (des années avant la guerre contre le terrorisme) et quand je lui ai fait remarquer que nous n'étions pas des chiens mais les clients d'une compagnie aérienne, elle n'est restée déconcertée qu'un instant avant de me riposter : " Vous n'etes pas des clients, vous etes des passagers. " Un bureaucrate russe en uniforme est probablement la pire créature de notre planete - par son arrogance, sa paresse et son incapacité. Ayons peur des incapables car ils sont capables de tout. Il est choquant d'observer comment un bureaucrate russe en uniforme est devenu petit a petit un exemple pour le monde entier.

Sous le prétexte de la lutte contre les terroristes (qui peuvent, si on exagere vraiment, etre au plus quelques centaines) des milliers de bureaucrates en uniforme, gros et arrogants, terrorisent des millions de voyageurs. En s'habillant en uniformes des services de sécurité, des gens, a l'origine sans emploi, pris directement dans la rue, ou des ouvriers sans qualification mal payés sont devenus les grands maîtres de tous ceux qui ont fait l'erreur d'avoir acheté un billet d'avion. Ceux qui n'ont jamais voyagé au-dela des frontieres de leur ville (et ils en sont probablement meme fiers), disposent d'un pouvoir quasi absolu sur ces richards audacieux qui osent voyager. Regarder leurs chaussettes et leur linge de corps, les déchausser, leur pointer des lampes de poche dans les yeux (bientôt aussi dans la gorge et dans les oreilles), les pousser d'un couloir a l'autre, les passer aux détecteurs ainsi que leurs valises, casser les serrures de ces valises et mettre le nez dedans, c'est le plaisir des pantouflards en uniforme. Une fois j'ai été témoin d'une scene qui m'a littéralement privé de souffle. Si Franz Kafka, l'auteur des proses absurdes, avait été dans les parages, il se serait réjouit. Dans un mini-aéroport désert et oublié quelque part en Iowa, un agent de sécurité est passé d'un bâtiment a l'autre. A cette occasion, ses collegues, employés de la meme compagnie de sécurité, l'ont fouillé a corps! Ça s'appelle la lutte contre le chômage. Ces garçons et ces filles trouveront toujours du travail. Quand j'ai quitté, il n'y a pas si longtemps, Mexico une femme des services de sécurité m'a arreté avant que je n'entre dans l'avion et elle a montré du doigt mes chaussures. Cela fait vingt ans que je possede ces chaussures. Ce sont mes chaussures pour voyager. Elles sont déja parties avec moi en Inde, en Malaisie mais aussi en Egypte, elles ont parcouru toute l'Europe et un bout de l'Amérique. J'en suis fier, elles font partie de mes voyages. J'étais obligé de les enlever. Ce n'était pas encore si terrible. Mais cette bureaucrate en uniforme les a pris avec ses gants blancs et lentement avec soin et envie elle a cassé les semelles.

Ensuite elle me les a rendues. Mes chaussures de globe trotteur condamnées a l'invalidité ! Elles étaient le symbole des temps ou voyager en avion était synonyme de monter au ciel.

Quand l'avion décolle il laisse derriere lui, sur terre, son ombre. Aujourd'hui cette ombre ne vous quitte meme pas a dix kilometres au-dessus de la terre. C'est l'ombre de la betise qui est en train d'etre mondialisée.

Traduit par Diana Lemay


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Wednesday, December 24, 2008

L'EXPERIENCE D'UN SCIENTIFIQUE SANS DOMICILE FIXE

 L'EXPERIENCE D'UN SCIENTIFIQUE SANS DOMICILE FIXE

La sieste espagnole est légendaire et on la respecte aussi a l'université. Pour déjeuner et pour faire ensuite la sieste, mes collegues espagnols rentraient chez eux. Alors je restais seul avec un sandwich que j'avais préparé moi-meme. Je ne mettais pas longtemps a le manger. En meme temps, je demandais pardon a notre cantine universitaire, subventionnée par l'état, d'avoir fait toutes ces blagues et remarques ironiques sur sa distribution massive de nourriture pour bétail. Cette appréciation tardive de notre façon de nourrir collectivement les employés de l'université avait sa raison d'etre. Mon menu quotidien actuel rappelait le régime d'un amnésique : tous les jours la meme chose. Apres un petit déjeuner a base de yaourt, relativement luxueux, et apres un déjeuner constitué d'un sandwich, oeuvre d'un véritable amateur (pain, beurre et un morceau de fromage), le soir m'attendait chez moi toujours la meme chose. Une soupe en sachet. L'explication en est simple. Je ne sais pas cuisiner, la seule chose que j'arrive a faire, c'est la soupe en sachet. La sorte de soupe importait peu, je l'améliorais a chaque fois avec les memes choses - pommes de terre bouillies et saucisses coupées en petites rondelles. Je n'avais pas d'argent pour aller au restaurant. Ma bourse était déja petite sans compter une assurance maladie misérable qui n'avait pas prévu mes problemes de dents récurrents.

Je mettais aussi de côté de l'argent pour une excursion que j'avais prévue en Andalousie. Et évidemment aussi pour acheter des cadeaux pour le retour. Vous devez admettre qu'a côté de toutes ces dépenses, la nourriture était secondaire. Grâce a ce régime, non seulement j'ai bien maigri mais apres un certain temps j'ai commencé a rever de nourriture. Surtout de viande. J'avais déja une certaine expérience du jeune pendant mes stages scientifiques. Lorsque j'étais en stage a Prague, peu apres avoir terminé mes études, ma bourse arrivait parfois en retard. J'étais donc obligé d'emprunter de l'argent aux collegues plus âgés. Mon dîner de survie (parfois déjeuner et dîner en meme temps) se réduisait a la plus petite saucisse grillée possible, avec de la moutarde et le maximum de pain, a un kiosque de la place Venceslas. Une fois j'ai été sauvé par le secrétaire général du parti communiste russe Konstantin Černenko en personne. Il est mort juste le jour ou je me suis de nouveau retrouvé sans un sou. J'avais acheté depuis longtemps un billet pour aller au théâtre. A cause du deuil national, on ne jouait plus, on m'a remboursé le billet et j'ai pu aller sur la place Venceslas manger une saucisse au lieu d'aller me cultiver. Le probleme de mon séjour en Espagne était que je me nourrissais d'une façon tres monotone. Pas moins de trente-trois soupes en sachet m'ont permis de survivre pendant ces trois mois.

Vers la fin de mon séjour, j'ai pu trouver une petite semaine de libre pour aller enfin visiter les célebres attractions touristiques en Andalousie. Je voulais tout voir et puisque je n'avais pas beaucoup d'argent je logeais dans les hôtels les moins chers, je prenais des bus de lignes locales et par principe, en ville, je marchais. C'est ainsi que j'ai traversé a pieds Cadix, Algesiras, fait un saut a Ceuta sur la côte africaine, visité le Gibraltar britannique, que je suis monté a l'alcazar local a Malaga et que j'ai, avec le meme enthousiasme, vaincu les différents monuments de Grenade. Un plan de la ville a la main, je m'attaquais inlassablement a toutes les attractions touristiques jusqu'a ce que je m'arrete stupéfait devant une église. Le fait que mon petit guide touristique ignorait ce monument, m'a troublé. J'ai hésité un instant. La foule silencieuse et mystérieuse, qui s'était rassemblée devant l'église et qui venait juste de se mettre en marche, m'attirait. J'ai suivi par curiosité ces personnages silencieux. Ils ne se saluaient pas entre eux, ils ne se parlaient pas. Je me suis retrouvé avec eux dans une espece de grande entrée, c'était une salle d'attente religieuse ou tous ces inconnus avaient automatiquement repris leur attitude patiente. Avant d'avoir pu réaliser que de toute évidence, en tant qu'étranger, je n'avais rien a faire dans cette communauté fermée, les portes se sont ouvertes. Un moine est arrivé et a invité tout le monde a entrer. Il a pris le soin de me convaincre que cette invitation s'adressait aussi a moi et je suis donc entré. Dans la grande piece ou je me suis retrouvé avec les autres, j'ai tout de suite compris de quoi il s'agissait. C'était le deuxieme service dans une salle a manger grande et propre ou l'on servait les repas pour les SDF. J'avais faim et j'étais également curieux. Alors, je suis resté. Puisque je ne parle pas espagnol, j'ai préféré ne rien demander, juste imiter ce que faisaient mes compagnons. Ce n'était pas difficile, dans cette communauté de taciturnes, personne ne faisait attention a l'autre. Ils se concentraient completement sur la nourriture.

Une épaisse soupe de poisson pour commencer, avec du pain blanc, avait déja bien éprouvé mon estomac d'ermite. L'assiette était remplie a ras-bord et, on vous resservait a la demande. Mes voisins a table ont automatiquement demandé a etre resservi. Je les ai surveillés du coin de l'oil. Ils n'avaient pas mauvaise mine et n'étaient pas non plus répugnants. A notre table, deux étaient meme habillés avec un genre de costume, meme s'il était vieux et usé. Tout le monde avait aussi une gamelle. Quand on a apporté le plat principal, d'un mouvement habile et sans scrupules ils le versaient dans les gamelles sous la table et en redemandaient. C'était aussi du poisson, cette fois-ci accompagné de salade et de pommes de terre. La portion était de nouveau énorme mais de toute évidence cela ne posait aucun probleme a mes convives. Certains demandaient meme d'etre servis une troisieme fois. Nous nous sommes séparés de la meme façon que nous nous sommes rencontrés. Sans paroles. Avant de partir chacun a reçu un grand sac plastique avec une quantité de pain coupé qui me suffisait en général pour une semaine de jeune. Si j'ai bien compris, c'était pour les habitués la portion journaliere. Avec ça nous avons encore reçu quelques tablettes de chocolat et une orange. Je suis parti en méditant silencieusement.

Deux rues plus loin, je me suis aperçu que ça allait mal. Je ne pouvais plus marcher. Je suis difficilement arrivé dans l'église la plus proche ou je me suis tout bonnement étendu sur un banc. Je suis resté assis au moins une heure sans bouger. Je ne pouvais plus bouger, je pouvais a peine respirer. Apres deux mois et demi de régime, le déjeuner des SDF était au-dessus de mes capacités. J'étais rempli a en exploser. Le temps de reprendre au moins des forces pour me lever et partir, je me suis rappelé les paroles d'un scientifique célebre qui disait : " La science, c'est du pain avec du beurre. Sans confiture. " Ce monsieur n'a probablement jamais eu l'occasion de prendre un déjeuner avec les SDF de Grenade. Et n'a jamais non plus entendu parler des soupes en sachet ...

Traduit par Diana Lemay



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Wednesday, December 17, 2008

DE L'HUMAIN, RIEN NE PEUT NOUS ETRE ETRANGER

                  DE L'HUMAIN, RIEN NE PEUT NOUS ETRE ETRANGER

Je sais qu'en société, les toilettes publiques ne sont pas vraiment un sujet des mieux reçus mais, d'un autre côté, il est évident, que meme une personne tres bien élevée ne peut s'en passer lors de ses voyages. Et c'est justement la, a cet instant des plus infâmants, que des surprises insidieuses nous attendent. Par exemple, le fait qu'en Inde on n'utilise jamais de papier. Je vous assure, il n'y a pas de papier la-bas.

C'est tout. Par contre, a la place, on doit se servir de l'eau d'un petit seau posé a côté. Comment, ne me le demandez pas, je n'ai pas essayé, je n'en sais rien. D'un autre point de vue, non seulement cette coutume indienne protege les forets, mais en plus, a ce que l'on dit, elle est bonne pour la santé de tous ceux qui sont, dans leur cupidité, arrivés jusqu'au filon d'or1. Je ne garantis pas les renseignements cités plus haut, mais il n'y a pas qu'en Inde qu'il vous faudra emporter du papier hygiénique.

D'un autre côté, au Japon vous vous passerez bien de papier si vous tombez sur un modele de cuvette ultramoderne, qui rappelle plutôt un siege éjectable pour pilotes d'avions de chasse supersoniques. La, vous avez un choix de boutons et de cadrans aussi large que dans une cabine de pilotage. Sauf que si vous ne choisissiez pas correctement la température et n'appuyiez pas sur le bon bouton, vous vous ferez projeter jusqu'au plafond par un geyser d'eau brulante. Mais des que vous allez retomber le mécanisme intégré a la cuvette se mettra a souffler avec compassion sur vos parties sensibles.

Les toilettes dites a la turque, qui savent si joliment tourmenter le monde, peuvent aussi surprendre en voyage. Surtout quand il s'agit d'une dame dans une radieuse toilette de soirée dans les toilettes beaucoup moins radieuses du célebre théâtre du Bolchoi a Moscou. Bien que je ne sois jamais allé dans les toilettes pour femmes du Bolchoi, j'ai mon expérience de l'approche russe de ce genre de choses. Dans une boîte de nuit de Saint-Pétersbourg non seulement il y avait des toilettes a la turque, mais les cabines n'avaient que des battants comme dans les saloons américains. Cela doit inévitablement plonger quelqu'un de chez nous dans l'embarras. Dans certaines positions, je n'aime pas faire connaissance avec des inconnus. D'un autre côté, je comprends que les soldats russes qui venaient dans nos casernes pour un échange d'un mois devaient avoir du mal a adapter nos toilettes européennes a leurs manieres turques. Tenir l'équilibre sur les bords de la cuvette de porcelaine pendant tout le temps requis doit etre tres difficile. Le résultat d'un tel bombardement, qui de plus avait duré un mois, était réellement effroyable.

Mais les circonstances nous contraignent parfois a tisser des liens avec ces lieux : ainsi par exemple, une saucisse trop grasse, mangée lors de vacances familiales dans une petite ville du littoral polonais, m'a contraint a séjourner dans une installation sanitaire du camping pendant quelques jours. Des heures entieres, le regard fixé sur l'écriteau " Veuillez laisser cet endroit propre ! " de la face intérieure de la porte de cabinets me conduit a l'idée que cette pancarte était le souvenir le plus approprié de mon séjour au bord de la mer en Pologne. La pancarte (un travail d'artiste fait a la main !) était pour moi la chose la plus reluquée et la plus admirée de toutes les beautés de cette partie du monde.

Que toutes les âmes sensibles me pardonnent toutes ces précisions si importantes pour la vie, sur une activité qui nous unit tous, ou que nous soyons. Tenez, par exemple, la manie absurde des constructeurs tcheques et slovaques de laisser une ouverture en partie haute du mur séparant les toilettes hommes et dames, laissant ainsi libre le passage du bruit et des commentaires de part et d'autre (n'oublions pas que, en principe, les femmes vont dans ces lieux en groupes bien organisés de deux bignoles ou davantage), peut tout aussi bien vous prendre au dépourvu meme en Malaisie. Mais c'est dans la ville allemande d'Aix-La Chapelle que j'ai réellement eu la plus grande surprise de ce genre. A ce qu'on dit, les Allemands sont des gens qui adorent la propreté. C'est un peuple qui rivalise avec le Japon et les États-unis pour avoir la médaille d'or de l'hygiene. C'est pour cela meme que j'ai fait une seule tentative dérogatoire dans ma vie et que j'ai visité les toilettes de la gare des chemins de fer. Des lieux que toute ma vie j'aurais évités par un grand détour compte tenu des expériences dans des gares ferroviaires de chez nous. Mais le fait que les cabines des toilettes de la gare d'Aix aient des portes en forte tôle et soient équipées d'un mécanisme a pieces m'a soulagé. Il était clair pour moi que si on doit payer pour ce genre de choses en Allemagne, on ne peut pas commettre de faute. Et pourtant! Apres avoir glissé une piece et entendu un gentil couinement de la porte, je l'ai ouverte. Grâce a ça s'ouvrit a moi une vue choquante d'un tas si énorme, probablement laissé par des dizaines de prédécesseurs ingénieux, que j'ai sur-le-champ refermé la porte métallique avec un cri d'épouvante. Dans un silence de mort, face a la porte claquée, je commençais a comprendre petit a petit. De meme qu'en Russie soviétique les serveurs ne débarrassaient pas les tables apres les premiers clients du restaurant pour ne pas avoir a servir les suivants, ici aussi, dans l'Allemagne capitaliste, quelqu'un a trouvé un plan génial. Sans entretien ni souci de la propreté, le mécanisme de ces toilettes se remplissait avec une fiabilité sans paire de la monnaie des victimes de la connaissance que nous avons tous certaines choses en commun, sur toute la surface du globe terrestre ...

Traduit par Patrice Boudard

1 " zlatá žila " appelation populaire pour les hémorroides



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Wednesday, December 10, 2008

CE QU'EST L'AMERIQUE

                                               CE QU'EST L'AMERIQUE

En plein coeur du " Middle-west " américain dans la petite ville universitaire d'Iowa City existe un comité d'accueil des étrangers. Il n'est composé que de retraités émérites et enthousiastes. Chez nous les retraités sont contents d'etre en vie et les étrangers ne font que leur taper sur les nerfs. Mais dans cette petite ville américaine il y a aussi un Centre d'Études Internationales un peu particulier ou une demoiselle du nom de Shu-I Chan, originaire de Taiwan, tient un registre de tous les visiteurs officiels de l'Université qui viennent de l'étranger et informe la population locale des présences dont ils peuvent se réjouir. Shu-I Chan m'a téléphoné un jour pour me demander si un certain monsieur Bruce Lafferty pouvait me rencontrer. A ce qu'il avait dit, il avait passé six mois en Slovaquie et aimerait bien rencontrer l'un de nous a nouveau. J'ai été surpris. Pourquoi est-ce que c'était elle qui me le demandait et pourquoi est-ce que ce Bruce Lafferty ne m'avait pas rencontré depuis longtemps. Elle m'a expliqué que par égard pour ma vie privée il lui fallait mon accord pour que Bruce puisse m'appeler.

J'ai acquiescé, Bruce m'a passé un coup de fil et deux jours plus tard nous étions déja assis ensemble devant une biere. Le rendez-vous a été amical. Bruce évoquait la Slovaquie avec plaisir. La seule restriction qu'il faisait concernait nos agents de police, car ceux-ci volaient les étrangers a coups de contraventions autant qu'ils le pouvaient. Ce n'était qu'une autre façon de prouver qu'il avait bel et bien été en Slovaquie.Quand nous sommes enfin arrivés a parler de ce que faisait chacun de nous, j'ai découvert en Bruce un pilote de carriere dans l'armée. Meme s'il ne l'était que dans la Garde Nationale et sur des avions de transport " Hercule ", le reve de ma vie était assis devant moi. Quand j'étais petit, je voulais etre pilote. Mais je n'ai sans doute pas fait ce qu'il fallait pour ça, et des cet instant je n'ai cessé de l'interroger en détail sur tout ce que j'avais manqué. Il m'a regardé en souriant et m'a assuré que rien n'était encore perdu... " Ici, on est en Amérique! ".

Et il m'a donné a nouveau rendez-vous pour dans une semaine. Au bout d'une semaine, nous nous sommes rencontrés sur le terrain d'aviation local. Il servait surtout a l'aviation de tourisme. Bruce a loué un petit bimoteur biplace avec double commande. Il m'a expliqué en détail les consignes préparatoires au vol, nous sommes montés a bord, Bruce a mis les gaz et nous avons roulé doucement vers la piste d'envol. C'était extra, c'était l'Amérique. Un ami completement inconnu sacrifiait temps et argent pour me balader dans un petit avion de tourisme. J'avais le sentiment de savoir de quoi il retournait et ce que je pouvais en attendre. Mais c'était une erreur.

" Prends le manche, " a dit Bruce d'un ton autoritaire, quand nous nous sommes retrouvés au début de la piste d'envol, et il a ajouté : " C'est moi qui mettrai les gaz et toi qui arracheras l'avion du sol et assureras le décollage. " "

Mais je n'ai jamais piloté d'avion de ma vie, " me suis-je indigné.

" C'est bon. Je suis instructeur de vol et ceci est la premiere leçon. Allons-y ! "Bruce a mis les gaz, moi j'ai pris les commandes d'apres les connaissances que j'avais acquises dans mes lectures d'enfance et surtout d'apres ses instructions ; et nous avons pris notre envol.Ce n'a été des plus élégants, mais nous étions dans les airs. Puis nous avons survolé la moitié d'Iowa City et Bruce m'a donné la possibilité de piloter en vrai, de mes propres mains.Quand j'ai tâché de lui exprimer ma gratitude dans le bruit des moteurs, il m'a fait un simple geste de la main.

" Ce n'est rien ", m'a-t-il crié Bruce en retour. " Au fond, c'est bien monotone de voler. "

Je ne suis pas tout a fait d'accord avec Bruce, mais j'apprécie qu'il ait au moins essayé de me le prouver. Pour ne pas s'écarter de l'ennui d'un vol de routine, et aussi par sécurité, il a fait lui-meme avec brio la manouvre d'atterrissage. Ça aussi c'est l'Amérique.

Traduit par Patrice Boudard



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Wednesday, December 3, 2008

LA COMPAGNIE DES WAGONS-LITS

                                     LA COMPAGNIE DES WAGONS-LITS

Il est diverses manieres de voyager. Mais seuls les wagons-lits peuvent vous donner l'expérience d'un vécu partagé avec des personnes inconnues - jusqu'a l'intimité d'une nuit passée en commun. Nulle part ailleurs et en aucune autre circonstance, vous n'arriveriez a obliger une dame tenant a sa réputation a dormir avec un inconnu, voire plusieurs, sur des lits superposés. Les chemins de fer russes permettent a tout moment de vivre ce genre d'expérience. Ce qu'il y a de savoureux dans cette affaire c'est qu'on ignore jusqu'au dernier moment ce qui nous attend. Il n'est donc pas question de protester. Sur ce point, les chemins de fer russes, quelle que soit au demeurant leur misere, font preuve d'une grande astuce. Je ne suis heureusement pas une dame, mais je dois avouer que le trajet de Minsk a Varsovie, en compagnie de deux Biélorusses avec lesquels je partageais le meme compartiment, m'a donné du fil a retordre. J'aurais du etre prévenu a temps de ce genre d'aventures grâce au voyage aller jusqu'a Minsk. J'avais, pour changer, fait le voyage avec un couple russe, typique du jour d'aujourd'hui. Lui était un mathématicien de formation universitaire et elle, une ingénieur en mécanique. Sous le nouveau régime démocratique, ils avaient abandonné leur travail ridiculement payé pour se faire vendeurs de rue. Ils vendent des vetements et des étoffes en tout genre, dont personne ne voudrait chez nous, pas meme dans ses placards, de peur que les mites ne viennent se fourrer dans ces rebuts. Mais, en Russie, ça se vend comme des petits pains. Ainsi, un ex-mathématicien et une ingénieur en mécanique font chaque mois le trajet de Minsk a Varsovie. La, au marché Europe (c'est un ancien stade transformé en bazar et c'est en meme temps le plus grand monument consacré a ce genre de commerce en Europe), ils achetent des sacs pleins de chiffons avec lesquelles ils se hissent dans le train et bourrent tous les recoins du compartiment (je ne me suis préservé que ma couchette pour dormir), apres quoi ils sont tenaillés par la crainte que des pots de vin et diverses combines ne leur permettent pas de vivre avec leur famille un mois de plus.

Quant au fait que la Russie, comme la Biélorussie soi-disant indépendante qui releve de sa sphere, ne perdra jamais son caractere de pays aux frontieres infranchissables, vous en serez convaincu lors d'un arret a la frontiere entre la Pologne et la Biélorussie. On y détache les wagons et on les conduit un par un dans de grands ateliers. On les souleve a une hauteur de deux metres, et vous avec, et on remplace les essieux européens par des russes a écartement plus large. Pour que vous ayez, lors de cette opération, des sujets de réflexion, des douaniers arrogants vous prennent votre passeport et s'en vont avec. L'opération de substitution des roues comme celle de votre sentiment d'etre un citoyen conscient de ses droits par celui d'etre un étranger toujours suspect et privé de droits apparents, dure une heure et meme plus. Au cours de cette opération, d'étranges figures que vous pourrez revoir dans toute la zone d'influence russe font peu a peu leur apparition. Ce sont des femmes avec de grands sacs a provisions d'ou elles tirent des bouteilles de vodka, des cigarettes mais aussi des sacs contenant des pommes qu'elles proposent a la vente. Une marchandise qui passe pour banale dans la zone a écartement normal des rails est ici, a la frontiere de l'immense Russie, une source d'existence pour des milliers de gens. Dans des circonstances normales, elles pourraient faire quelque chose de plus utile. Par exemple enseigner les mathématiques ou exercer la profession d'ingénieur en mécanique.

Sur le chemin du retour dans le train de nuit de Minsk a Varsovie, le destin m'a attribué a nouveau un échantillon intéressant de compagnons de voyage. Sur le quai déja, j'avais aperçu un homme d'un certain âge. Il était accompagné par sa fille avec son mari et leur fille. Ils formaient un groupe singulier dont la petite fille babillarde était le membre le plus remuant, tandis que notre voyageur était le moins doté de vie. Celui-ci avait l'air sympathique mais il en émanait une lassitude socialiste. Les adieux relevaient également d'un rituel qui n'a plus cours chez nous depuis longtemps. Dans les pays a écartement normal des rails, les voyages se sont banalisés. On peut se déplacer ou l'on veut et quand on veut. Avec tous ces voyages, on n'a plus le temps de faire des adieux. Le petit groupe sur le quai a la gare de Minsk célébrait toutefois un rituel de silence embarrassé et mon compagnon de voyage est monté dans le train avec un soulagement manifeste a l'idée de ne plus avoir a réfléchir sur ce qu'il pourrait bien dire d'intelligent a ses proches au dernier moment. Il faut dire qu'il n'avait pas une tete a avoir une idée intelligente en un pareil moment.

Le second voyageur était le jeune collegue du premier. Il est arrivé en sueur au dernier moment et, tout content d'avoir pu tout faire, il est aussitôt entré en conversation avec moi. Il était emballé par ce qui l'attendait. Il allait a l'Ouest! En fait, ils allaient tous les deux représenter leur entreprise quelque part en Boheme. Quelqu'un de chez nous peut difficilement partager l'enthousiasme suscité par une expédition que nous, nous pouvons nous offrir autant que nous voulons. Mais j'ai essayé d'encourager au moins un peu le plus jeune des voyageurs, de justifier ses motifs de satisfaction en lui donnant des informations sur l'Occident a la tcheque. Des que le train s'est ébranlé, les deux Biélorusses se sont immédiatement adonnés a un autre rituel de voyage. Dans ces trains, soit il n'y a pas de wagon restaurant ou alors on n'y trouve rien, soit il y en a mais ce qu'on y trouve est de mauvaise qualité et trop cher.

Aussi il n'y a-t-il pas dans ces régions de voyageur expérimenté qui ne se munisse pas de provisions de chez lui. Mais ce que ces deux-la ont sorti était a vous couper le souffle. Le jeune a évidemment commencé par une bouteille de vodka et un poulet rôti. Mais le plus vieux lui a damé le pion avec un bocal de cornichons aigres et le plus grand sandwich que je n'aie jamais vu. C'était peut-etre une invention familiale - qui sait; en tout cas il se composait de plus de dix tranches de pain garnies de tout ce qu'on peut imaginer mais surtout de saucisson. Il avait presque cinquante centimetres de hauteur. Pour des gens qui voyagent peu ou qui ne peuvent pas du tout voyager, la nourriture est un substitut de la vie. En faisant bombance ils apaisent leur faim de voyages véritables, ils voyagent sur place. Et lorsque le destin leur offre un authentique déplacement, ils emportent cette habitude en voyage. Ils m'ont offert de partager leurs provisions. Et moi je leur ai rendu la pareille en leur proposant de la biere de chez nous et du chocolat dont j'avais l'intention de me nourrir tout au long du voyage de retour. Ainsi nous avons mangé, bu et discuté pratiquement deux jours...

Un festin de camaraderie universelle imposait sa loi dans notre compartiment. Avec le plus jeune, j'avais la partie facile car il ne cessait de poser des questions sur ce qui l'attendait en Boheme, tout l'intéressait. Et toutes les évidences que comporte la vie dans les pays a moindre écartement de rails l'amenaient a ressentir un étonnement et un enthousiasme authentiques. Avec le plus âgé, c'était plus difficile. Il sentait que, en sa qualité de doyen, il devait rayonner d'une certaine expérience de la vie mais il n'en avait apparemment aucune dans le domaine du voyage en "occident". Aussi essayait-il de poser des questions a l'aide d'observations tirées de vieux films russes. C'étaient des allusions vagues a des réflexions profondes, du genre "Qui est le plus grand philosophe au monde", ou il avait une réponse préparée a l'avance (Gandhi bien sur!) mais il n'avait pas la moindre notion de philosophie. En outre ce monsieur était plus qu'agacé par l'admiration ouverte et naive que son jeune collegue exprimait pour tout ce dont ils étaient dépourvus dans les pays aux larges écartements de rails. Le plus âgé estimait qu'une si grande soumission n'était pas digne, ni conforme aux intérets de l'État et que j'aurais du retirer de cette rencontre une meilleure impression de la Biélorussie. Bref, j'aurais du en apprendre quelque chose qui m'aurait garanti que le pays que je quittais n'était pas n'importe quoi. Nous avons bu, grignoté, le jeune homme posait infatigablement des questions, le plus vieux fronçait les sourcils en silence, regardait avec inquiétude par la fenetre et guettait son heure. Et celle-ci est venue.

Presque a la fin de notre voyage, avant Varsovie, au dernier moment, les yeux du plus âgé de mes compagnons de voyage se sont mis a briller. A dire vrai, j'ai formulé des voeux pour qu'une idée lui vienne. Il appartenait a la derniere génération qui a subi de bout en bout l'expérience communiste et qui ne peut meme pas prétendre aujourd'hui ne serait-ce qu'au respect des jeunes, car ces derniers ont a présent des soucis tout différents. Souffrir est mauvais, mais souffrir pour rien vous anéantit. L'effort de rechercher une ombre de dignité humaine dans des conditions tout a fait indignes est compréhensible. Nous ne sommes sur ce point ni meilleurs ni pires que les Biélorusses. La vodka, qui plus est, avait déja accompli son oeuvre et nous ressentions tous jusqu'aux larmes des sentiments de camaraderie et de fraternité indestructible: c'était la l'instant opportun pour poser la question entre toutes." Et au fait, est-ce que vous savez, Gustáv Augustínovič, ou se trouve le coeur de l'Europe ? "

J'ai hoché la tete de déception. Encore loupé! Ou plutôt il était tombé pour sa malchance sur le seul expert cardiologue de la question de l'ubiquité du coeur de l'Europe. Du temps de l'existence de la Tchécoslovaquie, on nous serinait que le coeur de l'Europe n'était autre que Prague. Malgré cela, devant l'aéroport international de Budapest une affiche accueillait les visiteurs de l'étranger en leur annonçant qu'ils entraient dans un pays qui apparemment était le coeur de l'Europe. La Slovénie également, au bord de l'Adriatique, aspire a ce titre de fierté dans les prospectus de la compagnie d'aviation Adria. En revanche Air France vous invite a voyager dans le monde entier a partir du coeur de l'Europe qui est - cela se comprend- la France. Memes affirmations au sujet du Luxembourg voisin et de la Hollande. J'ai entendu également un commentateur politique de la BBC assurer qu'il ne fallait pas prendre a la légere les troubles politiques de l'Italie, pays qui est tout de meme sis au coeur de l'Europe. Au contraire le Times de Londres a sous-titré un article sur la Bosnie: "Le coeur de l'Europe aux mains des Américains". A Varsovie meme, a la vitrine du Mégastore, j'ai trouvé un livre de Davies " Le coeur de l'Europe- Breve histoire de la Pologne ". Il n'est pas étonnant que le coeur de l'Europe qui doit se trouver simultanément dans tellement d'endroits soit menacé d'infarctus a tout instant... Outre les villes et les pays qui sont nombreux a prétendre au titre de coeur de l'Europe, des mesures précises déterminent le centre de ce continent. En fait il y en a trois. En Ukraine, a côté de la ville de Rahov, une colonne indique le centre exact du centre de l'Europe. Il y en a une semblable en Lituanie. Eh bien en Slovaquie, nous en avons une aussi, au sommet de je ne sais quelle montagne pres de la commune de Krahula qui se trouve, cela va de soi, en Slovaquie centrale. Dans le petit village hongrois de Tallya, on ignore sans doute absolument l'existence de ces centres officiels du vieux continent, car chaque visiteur des bistrots a biere du coin reçoit un diplôme pour sa visite du centre géodésique de l'Europe.J'ai essayé de fournir au voyageur biélorusse le plus âgé une explication sur la difficulté de localiser le coeur de l'Europe, mais il l'a résolument contestée. Il était tout bonnement agacé par la complexité poussée a l'extreme de mes spéculations d'occidental.

" Vous ne savez rien Gustáv Augustínovič! Vous ne comprenez rien. "Je soupçonnais depuis deux jours que cela finirait ainsi, mais j'étais curieux de la chute."

Le coeur de l'Europe se trouve, " pause significative, " dans notre Biélorussie lourdement éprouvée. Le centre de l'Europe, c'est nous! "

Mais ce n'était pas tout. Avant notre arrivée a Varsovie, je n'ignorais plus rien du rôle important que le peuple de ce pays si sous-estimé allait jouer dans l'avenir de l'Europe et du monde. D'apres mon compagnon de voyage, l'Europe est de fait le centre du monde: par conséquent, puisque la Biélorussie est le centre de l'Europe, elle est automatiquement le centre du centre du monde.

J'étais déja en train de descendre du wagon avec mes valises, lorsqu'il a conclu a mon oreille d'un chuchotement intime (et un peu chuintant sous l'effet de la vodka): " C'est nous qui sauverons le monde. Souvenez-vous en ! "Je m'en suis souvenu car je sais qu'il était sincere. Grâce a la vodka et a ces deux jours de voyage amical, ses défenses s'étaient relâchées et il avait exprimé ce qu'il pensait réellement au plus profond de son âme. Et il n'était peut-etre pas le seul. J'avoue moi aussi que j'aurais souhaité a la Biélorussie de sauver le monde. De fait le monde a besoin a chaque instant d'etre sauvé par quelqu'un et il est au fond indifférent de savoir qui se charge de ce travail ingrat. Si un jour donc vous avez le coeur lourd, ne désespérez pas. Droit au coeur de l'Europe, il y a des gens qui sont de loin plus mal en point que nous et dont néanmoins le souci principal est de nous sauver tous...

Traduit par Sabine Bollack



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