Wednesday, October 22, 2008

LES AILES SUR LE FAUTEUIL ROULANT

                                     LES AILES SUR LE FAUTEUIL ROULANT

"Tu as peur?" lui demanda sa maman qui cachait sa propre peur au fond d'elle depuis bien des semaines déja.

"Non," répondit Peter en esquissant un sourire, "je suis content."

La maman de Peter hocha la tete en signe d'incrédulité mais il ne pouvait pas le voir. Car elle poussait le fauteuil roulant sur les chemins en gravillons du parc et cela lui demandait pas mal d'efforts. Quand est-ce que les architectes penseront enfin que les gens en fauteuil roulant aimeraient bien eux-aussi aller se promener dans les parcs ?Et meme ceux qui veulent devenir astronautes. La maman de Peter réussit a amener le fauteuil de son fils de vingt ans jusqu'aux jeux pour enfants et elle put ainsi rajouter a sa peur une bonne dose d'humiliation. Car il était impossible d'éviter les regards étonnés (et meme fâchés) des jeunes mamans quand son fils adulte pénétrait dans le royaume des jeux de leurs enfants pour y accomplir comme chaque jour ses exercices de Tarzan. Uniquement a l'aide de ses mains, il rampait, se balançait, et se déplaçait dans tout cet ensemble de jeux pour finir tout en haut sur une tour de dix metres en faisant ses renversements préférés.
Il en fit une centaine en cinq séries et puis tout en sueur il descendit jusqu'au jeu le plus proche pour que sa maman puisse l'aider a regagner son fauteuil roulant.

"Maman tu ne comprends pas, ici on me prend pour un fou mais la haut..." Peter regarda avec bonheur au-dessus de lui mais il ne pouvait pas voir le ciel a travers les cimes d'arbres,"La haut ils sont tous sur des "fauteuils roulants" a cause de l'apesanteur. Tous ces astronautes, sportifs bien entrainés s'y transforment en invalides. Tout a coup leurs superbes jambes ne leur servent plus a rien. Ils les traînent derriere eux dans cet espace vide et elles les genent. Ils sont obligés de s'habituer a quelque chose qui leur est étranger. Il n'y aura que moi, ma petite maman, qui y serai sans jambes comme chez moi. Meme si je n'y suis encore jamais allé..."

Cela a commencé en toute innocence. Que peut bien faire un garçon qui naît avec des membres inférieurs rabougris qui ne sont que des petits moignons attachés aux hanches? Peter adorait lire. Quoi de mieux que des histoires irréelles aussi bien que réelles de l'espace ou meme ce qui est anormal est considéré comme normal ?Parmi ces histoires irréelles figuraient "Les Sirenes de Titan" et "Planete a gogos". Mais apres, il tomba sur l'histoire incroyable de Norman Mailer sur le programme Apollo qui s'appelait "Bivouac sur la lune". Il était attiré par les idées sur "l'âme des machines" et aussi par le paradoxe que les conquérants de l'Espace revenaient souriants, heureux mais physiquement ils étaient au meme niveau que les invalides en fauteuil roulant, comme Peter. Plus tard, il trouva quelque part que lors de la mission Apollo 6 deux astronautes avaient passé quinze jours assis dans des fauteuils dans une cabine qui ne faisait que 3,3 m sur 2,3 m.
Ce n'est pas étonnant qu'on ait été obligé de les transporter pour les sortir de la cabine. La technique fait cependant des progres, l'espace de travail pour les conquérants de l'Espace s'agrandit mais cela ne change rien au fait qu'apres l'atterrissage, ils deviennent invalides comme lui - en fauteuil roulant. Pourquoi? Cette question empechait Peter de dormir, alors il décida de l'étudier a fond. Les conclusions l'impressionnerent. Dans l'état d'apesanteur, ces émissaires de l'humanité, sportifs et tres entraînés, se transformaient lentement mais surement en ombres d'eux-memes. Le temps des premiers vols dans l'espace, les astronautes étaient apres quelques jours de vol si affaiblis qu'ils n'arrivaient meme pas a lever la main et il leur fallait un mois pour récupérer.Un équipage russe mit jusqu'a un an pour se rétablir complétement apres un séjour de longue durée en orbite. Ils s'adapterent rapidement a l'état d'apesanteur dans l'espace et ils se sentaient bien, mais apres leur retour sur la Terre, ils étaient genés par le poids de leur propre corps qu'ils ressentaient a nouveau; ils avaient des problemes d'équilibre, de mobilité et leurs muscles réagissaient d'une façon inhabituelle. Certains étaient obligés de réapprendre a marcher.


Tout cela avait intrigué Peter. Lui, s'il était astronaute, il n'aurait pas eu ce genre de problemes apres son retour. Il retournerait la ou il avait l'habitude d'etre - sur le fauteuil roulant. Et, au contraire, en apesanteur, ses jambes ne lui manqueraient pas du tout. Le fait de ne pas les avoir serait plutôt un avantage. Cela, il l'avait déja bien étudié, les astronautes ont justement les plus gros problemes avec leurs membres inférieurs qui ne sont pas utilisés pendant le vol. Le sang, que le corps a du mal a distribuer de façon équilibrée comme sur Terre, s'y accumule. Sans une charge réguliere de travail, les muscles retrécissent.
Albert Einstein compara cet état d'apesanteur a une chute libre et l'astronaute de la NASA Dave Wolf y ajouta : "C'est comme si vous sautiez d'un grand immeuble et passiez quinze jours pour atteindre le sol." Pendant ce temps ils perdent 1% de leur masse musculaire par mois, meme si les premiers rapports mentionnaient jusqu'a 10-15%.Leurs typiques "mollets de poulet", qui peuvent diminuer d'un tiers quand ils ne sont pas utilisés, sont les plus touchés. Peter, lui, il n'en a pas, alors, il n'a rien qui pourrait s'atrophier!

"Toi, tu peux y arriver, alors dis-leur!" C'est comme cela que l'encourageait son amie Veronika.
Ils se connurent au travail. Peter travaille pour la police municipale dans la ville de Trenčín. Six handicapés en fauteuil roulant se relaient ici devant les écrans qui surveillent les endroits les plus critiques de la ville. Les autres opérateurs avaient plein d'autres activités et ne parvenaient pas a se concentrer de la meme façon que Peter et les autres handicapés comme lui. Ils avaient réussi a multiplier par dix l'efficacité de tout le systeme qu'il s'agisse d'identifier des malfaiteurs ou de signaler des actes criminels a temps.
Ils devinrent si connus que meme la télévision locale vint les voir. Veronika, leur journaliste, est menue, sympathique et sourit tout le temps. Le cas de Peter l'intéressa, c'est pourquoi ils se rencontrerent aussi en dehors du travail. Elle fut emballée par l'idée de Peter. " Tu ne peux pas laisser tomber comme ça. Il faut le dire, il faut leur proposer cette idée ! "


Peter hocha la tete avec amertume au-dessus d'une tasse de thé vert dans le café pres du siege de la télévision locale ou il était allé voir Veronika. " Mais a qui dois-je le dire, qui dois-je aller voir ? "Veronika comprenait son attitude sceptique. La Slovaquie et l'Espace ? Ne soyons pas ridicules ! Qu'est-ce qu'un si petit pays peut avoir en commun avec des vols dans l'Espace ? Oublions ! Mais l'entrée de ce pays dans l'Union Européenne en 2004 donna un espoir a Peter. Car tout citoyen de l'Union peut participer au projet européen de la station spatiale. Meme un handicapé en fauteuil ? Cela posait des problemes. Les responsables de la capitale faisaient comme si Peter n'existait pas. Ils avaient honte de lui. On devrait envoyer comme premier représentant du pays, dans ce projet européen de station spatiale permanente, un handicapé en fauteuil ? Ne soyons pas ridicules !

Entre temps, Peter put concrétiser son idée. Il s'appuyait sur le fait que l'image actuelle de l'astronaute reposait sur le stéréotype suivant : seuls les hommes musclés pouvaient partir dans l'espace.
Et cela dans le seul but de les enfermer par la suite dans des cabines étroites sans possibilité de mouvement naturel. Ces hommes et femmes aux dimensions physiques idéales pour les conditions terrestres emportent également avec eux en orbite le besoin d'entretenir leur condition physique qui ne peut pourtant pas etre utilisée dans l'espace étroit des cabines spatiales.
Ainsi on transforme les héros de l'espace en prédateurs en cage dans les zoos qui n'arretent pas d'étonner les visiteurs en faisant betement trois pas en avant et trois pas en arriere. Pour sauver la situation, les spécialistes préconiserent aux astronautes de faire des excursions amusantes dans le vaisseau spatial sur un vélo sans roues.
Selon les dernieres nouvelles, ils doivent aussi porter des pantalons spécialement conçus pour exercer une pression et maintenir la circulation du sang dans les jambes.Mais meme cela n'aide pas beaucoup et nos explorateurs de l'espace ont du mal a récupérer apres leurs séjours record en stations spatiales.
Apres cela, il est difficile de s'étonner des conclusions selon lesquelles les vols de longue durée en apesanteur peuvent conduire a des changements irréversibles chez les participants a ces vols.
Ce qui ne pourrait pas arriver aux gens en fauteuil roulant. Chez eux, on peut meme supposer une certaine habitude a évoluer dans un espace réduit. De plus, les étroits couloirs-tubes des stations spatiales exigent notamment des mouvements a l'aide des mains. Il y a aussi une chance qu'ils s'adaptent plus facilement au travail en position assise. On peut s'attendre a une capacité naturelle de concentration puisqu'ils ne sont pas dérangés par toutes sortes d'activités physiques. Le travail avec l'ordinateur est pour eux une chance de garder le contact avec leur environnement. En outre, leur motivation exceptionnelle pourrait compenser leur handicap dans la compétition avec les autres.
Car ce qui est pour eux un handicap sur Terre pourrait en orbite devenir un stimulant grâce auquel les plus ambitieux pourraient de nouveau devenir partenaires égaux des autres ou meme les devancer. L'espace pourrait les aider a se libérer de l'isolement dans lequel ils vivent sur Terre.
Aux plus persévérants, l'espace peut ainsi offrir une occupation et un but a vie. Ces gens sont invalides de notre point de vue terrestre et terre a terre a la fois. L'espace pourrait etre plus indulgent envers eux, n'est-ce pas ?
Tout cela était bien beau si quelqu'un voulait l'écouter.

Mais Peter ne trouva pas une oreille attentive en Slovaquie. Enfin, si. Sa maman l'écoutait mais elle ne pouvait que se lamenter, de temps a autre, sur son idée folle. Et puis Veronika, mais elle, elle décida d'agir.
La rencontre des représentants des télévisions locales des pays d'Europe centrale et orientale au Parlement européen a Strasbourg, ou elle était invitée, était une occasion revée.
Il devait bien y avoir quelqu'un qui pourrait aider ou donner un conseil. Au dernier moment, elle trouva effectivement quelqu'un. C'était un intervenant français Marc qui était intéressé par l'idée de Peter quand Veronika lui en parla. Il faut ajouter que d'abord c'était Veronika qui l'avait intéressée et l'idée de Peter ensuite. Mais l'important était qu'il savait a qui s'adresser.

" C'est une chance inouie, tu dois t'y accrocher, " insistait Veronika apres son retour. Mais Peter se braqua, il n'avait pas l'intention de l'écouter mais surtout il ne voulait pas écouter les éloges sur son soupirant français. En dehors de ça, l'idée est une chose mais la réaliser en est une autre. En était-il capable ?

La maman de Peter préférerait que cette idée reste juste une idée. Mais Veronika décida d'agir. En tant que journaliste, elle savait trouver ce qu'elle cherchait et elle savait aussi ce que Peter avait besoin de savoir. Par exemple, que les premiers jeux paralympiques eurent lieu déja en 1960 a Rome. Elle réussit également a trouver les coordonnées de Štefan Danko, un handicapé slovaque en fauteuil roulant qui réussit a devenir champion du monde de javelot.
Et surtout une nouvelle toute fraîche sur l'alpiniste néozélandais Mark Inglis qui, apres avoir été amputé des deux jambes, réussit, avec des protheses spécialement adaptées, l'ascension du Mont Everest en mai 2006. Et de la, il n'y a plus qu'un pas a faire pour aller dans l'espace!

Tout cela n'aurait pas suffi si Marc, le journaliste français, n'avait pas trouvé, a l'instigation de Veronika, le chemin du CEES (Centre Européen d´Etudes Spatiales) ou ils étaient prets a écouter Peter et voir s'il était capable de réaliser lui-meme son idée. Ils lui envoyerent une invitation.

Depuis lors, dans le parc sur l'aire de jeux pour enfants, les mamans ont une nouvelle attraction.
Un jeune en fauteuil roulant y rampe quotidiennement uniquement a l'aide de ses mains, pour finir tout en haut sur la tour la plus haute en faisant ses cent renversements habituels. Et quand, sur le chemin du retour, en le poussant sur des chemins en gravillons, sa maman lui demande s'il n'a pas peur de tout ce qui l'attend, il ne fait que hocher la tete. Au contraire, il s'en réjouit déja. La haut, on va lui donner des ailes.


Traduit du slovaque par Diana Lemay

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