Wednesday, February 18, 2009

TROUVER LE BON CHEMIN

                                  TROUVER LE BON CHEMIN
                                            Histoire indienne

'ai un ami du nom de Pavol Malovič. Si je lui dis parfois ou mes obligations du moment me conduisent n'importe ou dans le monde, non seulement il sait aussitôt ou se trouve la ville dont je lui parle, mais encore il me conseille d'aller voir une attraction locale. Comme je m'appretais a partir pour une conférence internationale a Lucknow (dont beaucoup ne connaissent pas l'existence ; moi-meme je l'ignorais ; en fait, c'est en Inde), mon ami Pavol m'a parlé d'une curiosité : un labyrinthe que je ne devrais pas manquer. Heureusement les organisateurs de la conférence scientifique internationale étaient aussi de cet avis. Un guide touristique professionnel nous a conduits au labyrinthe de Lucknow. C'était un parfait imbécile. En prélude a notre visite de la ville, il nous a tout de suite annoncé qu'il allait nous prouver que Lucknow était le Paris oriental. A cet effet il nous a traîné par une chaleur suffocante, dans un autobus qui pouvait avoir connu la mobilisation pendant la premiere guerre mondiale, a travers une ville sale et délabrée et nous a montré les monuments qui, selon son imagination uniquement, pouvaient rivaliser avec ceux de Paris, y compris les égouts. Ce quadragénaire énergique souffrait de cet aveuglement intéressant que l'on rencontre aussi en Russie, par exemple. C'est l'instinct de conservation des gens qui sont toute leur vie jusqu'au cou dans un cloaque et qui, pour conserver un minimum de dignité humaine (conscients qu'il n'y a pour eux aucune issue possible), se persuadent et persuadent les autres que, si ce cloaque n'apporte rien, au moins il sent bon. Entre parentheses, notre guide avait sur son revers un petit insigne russe et il est tout a fait possible que le style ampoulé de ses commentaires ait plu justement aux touristes russes. Ils y sont habitués chez eux. Quant a moi il me tapait vraiment sur les nerfs. C'est pourquoi j'ai profité de la premiere occasion pour échapper a son indésirable sollicitude. Cette occasion ne s'est présentée qu'a l'intérieur du labyrinthe. Le labyrinthe de Lucknow est un édifice vraiment remarquable. Parce que, contre toute attente, il n'est pas souterrain mais forme le premier étage du palais principal qui abrite le mausolée. En outre, il est étonnamment simple, clair, rectiligne. Ses couloirs font le tour de la salle principale du palais et débouchent sur l'intérieur de la salle aussi bien que sur l'extérieur du bâtiment. Les dénivellations des couloirs sont le seul élément déconcertant : vous devez monter quelques marches pour redescendre aussitôt au niveau précédent. J'avais le sentiment que les plaisanteries ennuyeuses du guide au sujet de son prédécesseur qui s'était une fois perdu la dépassaient déja les limites tolérables de sa sous-estimation a notre égard. J'ai laissé s'éloigner tout le groupe avec le guide en tete et j'ai vite tourné dans le passage transversal le plus proche. Enfin seul ! Pendant un court moment j'ai ressenti un soulagement triomphal. La voix criarde, amplifiée du guide s'éloignait quelque part derriere le mur. Enfin je pouvais me promener librement, jeter un coup d'oil par les petites fenetres que je rencontrais de temps en temps, essayer les divers embranchements, penser a mes préoccupations et - me perdre.

Quand j'ai réalisé que j'étais perdu, cela ne m'a nullement inquiété. Je présumais que le labyrinthe était si petit qu'il me suffisait simplement de marcher et que j'arriverais a une sortie. Mais plus je marchais, plus je me persuadais qu'il n'existait aucune autre issue que celle par laquelle nous étions arrivés (et que j'avais completement perdue sur le plan que j'avais en tete). Il n'existait que les escaliers qui reliaient entre eux les étages du labyrinthe. J'ai monté des marches et, de façon inattendue, je me suis retrouvé sur le toit vide et plat du palais. Une intéressante vue sur le coucher du soleil au-dessus d'un Paris oriental sans attrait s'est offerte a moi. Pourtant une scene banale m'a beaucoup plus intéressé, en bas, dans une cour sale derriere le palais. A l'écart des lieux destinés a l'émerveillement des touristes il y avait la une cabane et des tas d'ordures. Devant la cabane j'ai vu une femme en noir et tout autour des enfants qui couraient sur la décharge. La femme était silencieuse et regardait le jeu des enfants avec cette résignation fataliste que vous rencontrez partout ou la pauvreté se trouve trop proche, ou la vision d'une vie digne est inaccessible. Les enfants étaient bruyants, joyeux, insouciants comme tous les enfants du monde.

Mais leur jeu obéissait a une étrange regle. Bien qu'a premiere vue impétueux et espiegles jusqu'a l'irresponsabilité, ils ne se déplaçaient jamais au cours leurs poursuites insouciantes que dans la limite d'un cercle aussi invisible qu'infranchissable. Il y avait dans leur indocilité enfantine une discipline terrible qui les empechait de transgresser les frontieres pressenties du possible. Pleins d'énergie, d'espoir, de désirs encore inexplorés, ils s'emberlificotaient dans un dédale de corridors sans issues, tout comme moi dans le labyrinthe au-dessus d'eux. Je ressentais cela comme quelque chose d'étrangement proche, presque physiquement intime, comme si j'étais l'un de ces enfants. Le fait que je me tenais nu-pieds, tout comme eux, sur la terrasse au-dessus d'eux, m'y aidait. On ne peut pas pénétrer dans le labyrinthe avec des chaussures. Aussi les avais-je laissées dehors ainsi que mes chaussettes et maintenant, debout dans la poussiere jusqu'aux chevilles, je me sentais peu sur de moi et désagréablement dénudé. De surcroît il m'est venu a l'esprit qu'avec le soir et la nuit froide qui s'approchaient d'autres groupes de touristes ne passeraient surement plus par ici. Et que notre imbécile de guide pourrait facilement m'oublier la au moins jusqu'au lendemain matin. Nous formions un grand groupe de scientifiques de diverses nationalités qui ne se connaissaient pas les uns les autres et bon gré mal gré, je devais reconnaître que je ne manquerais a personne, au moins d'ici une douzaine d'heures. Une idée m'a envahi l'espace d'un instant en m'a fait froid dans le dos : pour quelque absurde raison, je ne devrais plus jamais sortir de ce labyrinthe de Lucknow autrement qu'en rejoignant en bas cette femme et ces enfants et en restant pour toujours dans leur labyrinthe de misere sans issue. Idée dont j'étais d'autant plus proche que je commençais a peine a savourer le sentiment d'appartenir a un autre monde, un monde d'abondance. Maintenant j'avais la possibilité de voir de véritables pauvres. En bas, au-dessous de moi, une scene banale et cruelle de la vie se déroulait pendant que moi, sur le toit du labyrinthe de Lucknow, j'avais encore une chance de ne vivre qu'une épreuve passagere et peut-etre terrible qui, avec le temps et une fois de retour chez moi, plongerait inéluctablement dans le sac sans fond de ces histoires de voyage toujours joyeuses et qui toujours finissent bien. Je n'arrivais pas a regarder longtemps en bas cette décharge avec ces etres humains qui, contrairement a moi, n'avaient pas choisi cette aventure de labyrinthe sans issue. J'ai regagné rapidement le labyrinthe par les escaliers, bien décidé a trouver, cette fois-ci, la sortie. Au bout d'un moment des voix insouciantes au milieu desquelles j'ai reconnu aussi, sans le moindre doute, le haut-parleur vagissant de notre guide, sont venues a mon aide. Aussitôt apres j'ai aperçu au bout d'un de ces longs couloirs rectilignes notre groupe qui sortait par l'escalier principal devant le palais. Je l'ai rejoignit avec grand plaisir...

Traduit par Catherine Hubert

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