Wednesday, December 31, 2008

UN BILLET D'AVION POUR LE CIEL

                                              UN BILLET D'AVION POUR LE CIEL

C'était le bon temps ! C'est une phrase bien connue chez nous. Chaque fois que nous voulons nous plaindre c'est cette phrase qui revient. Et nous nous plaignons tout le temps. C'est la raison pour laquelle je n'aime pas ça. Je me suis toujours considéré comme un optimiste réaliste. Je dois tout de meme reconnaître que pour les voyages dans l'immense toile mondiale des lignes aériennes, le bon temps est vraiment fini. Les gens ont appelé le passage du 19e au 20e siecle la " Belle Epoque ". La premiere guerre mondiale a brutalement interrompu cette belle époque. La guerre contre le terrorisme a brutalement interrompu l'âge d'or des voyages au tournant du 20e siecle.

S'envoler vers les nuages était un vieux reve de l'homme. Les compagnies aériennes avaient pour mission de vendre des billets pour ce reve : faire voler et atterrir en sécurité. Pour persuader les gens que ce reve était réalisable, au début du 20e siecle, on organisait a bord des avions d'autrefois, alors tres rudimentaires, des soirées dansantes ; on servait meme la biere directement des tonneaux (aujourd'hui, on considérerait cela comme une bombe potentielle). Soit dit en passant, c'était la compagnie aérienne tchécoslovaque Československé aerolínie qui se vantait de servir de la biere de cette façon. Dans les années 60 encore, le voyage en avion était une petite aventure et les petits sacs en cas de besoin n'étaient pas a côté de chaque siege par hasard. Mais prendre l'avion a la fin du 20e siecle était un plaisir. Les avions étaient grands, confortables, surs et ils volaient pratiquement par tous les temps. Les meilleures compagnies programmaient le vol de maniere a ce que vous preniez l'avion l'apres-midi, qu'ils vous donnent a manger, qu'ils puissent baisser les lumieres et faire la nuit. Ainsi vous vous réveilliez le matin, dans un pays exotique situé a neuf mille kilometres. Toutes les compagnies organisaient de vrais festins a bord de leurs avions. A Malaysian Airways, une des meilleures compagnies aériennes au monde, pendant le vol, on servait a votre demande des cocktails a volonté dans la classe touriste. Lors d'un vol avec cette compagnie j'ai eu pour la premiere et unique fois de ma vie l'occasion de voir les passagers chanter de joie. C'étaient des entrepreneurs moraves qui se réjouissaient d'une cave apparemment inépuisable et surtout gratuite au bar de l'avion, malgré les inondations dans leur pays natal. La mission des compagnies aériennes consistait a vous persuader qu'en montant a bord de leur avion vous entriez au paradis des voyageurs ou de magnifiques créatures célestes, pretes a réaliser tous vos souhaits angéliquement innocents, s'occupaient de votre bonheur. Comme preuve, l'hôtesse de l'air malaise, Elyane, avait passé la nuit aupres de moi lors de mon retour quand j'étais tout en sang comme si j'avais rencontré le tigre de Malaisie.

Aujourd'hui, la situation est tout autre. Et comme d'habitude, ce sont les Américains qui ont commencé bien avant la guerre contre le terrorisme. Dans le cadre du processus de baisse des prix des billets d'avion, ils ont instauré des " vols cacahuetes ". Sur ces vols-la vous aviez vraiment droit uniquement aux cacahuetes et au coca (mais en réalité, il y avait plus de glace que de coca). Puis, quelqu'un a découvert que chaque trois millionieme passager pouvait avoir des boutons, ou meme une crise, a cause de ce petit paquet de cacahuetes, et depuis ils nourrissent non seulement ce trois millionieme passager mais aussi les deux millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres passagers par un ersatz - les petits bretzels. A la différence des bretzels, les cacahuetes étaient mangeables. Je peux vous l'affirmer. Pendant mon voyage d'Oklahoma a St. Louis, de St. Louis a Washington et de Washington a New York, qui a duré une demi-journée, j'ai reçu a chaque fois un coca (ou plutôt de la glace arrosée de coca) et un nouveau petit paquet de bretzels non comestibles. Croyez-moi, avec ce genre de régime vous (ou n'importe qui d'autre a part ce trois millionieme passager qui s'était déja écroulé en mangeant les arachides) pouvez facilement avoir des boutons ou meme une crise. Certainement une crise de faim. Cette mauvaise habitude s'est, apres la faillite de plusieurs grandes compagnies aériennes, vite répandue aussi en Europe. Et comme cela arrive souvent, ceux qui veulent etre plus royalistes que le roi ont eu le dernier mot. Je me souviens de cette époque ou on devait payer pour la biere (ou pour n'importe quel alcool, mais ils n'avaient que de la biere) sur les lignes intérieures américaines. Aujourd'hui sur les lignes Bratislava-Munich ou Oslo-Tromso la vendeuse de bord remplace l'hôtesse de l'air dans son rôle d'ange d'accueil, et on doit payer pour tout ce qu'on prend. Les temps changent, il faut payer, meme au ciel. Je peux comprendre qu'on ne fume pas a bord d'un avion (meme si je n'arrive pas a comprendre comment certains fumeurs peuvent le supporter durant des heures). Mais ces derniers temps une poignée de fous furieux est en train de se regrouper. Ils aimeraient interdire aussi l'alcool a bord des avions car chaque trois millionieme passager pourrait etre ivre. A cause de ce passager il faudrait interdire aux deux millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres passagers de regarder ne serait-ce qu'un dentifrice, car lui aussi contient de l'alcool.

Les prédictions d'une femme-douanier désagréable, une bonne femme russe qui faisait son service a l'aéroport de Tbilissi se sont malheureusement réalisées. Quand j'ai protesté contre la maniere arrogante dont ils nous fouillaient a l'entrée de l'avion (des années avant la guerre contre le terrorisme) et quand je lui ai fait remarquer que nous n'étions pas des chiens mais les clients d'une compagnie aérienne, elle n'est restée déconcertée qu'un instant avant de me riposter : " Vous n'etes pas des clients, vous etes des passagers. " Un bureaucrate russe en uniforme est probablement la pire créature de notre planete - par son arrogance, sa paresse et son incapacité. Ayons peur des incapables car ils sont capables de tout. Il est choquant d'observer comment un bureaucrate russe en uniforme est devenu petit a petit un exemple pour le monde entier.

Sous le prétexte de la lutte contre les terroristes (qui peuvent, si on exagere vraiment, etre au plus quelques centaines) des milliers de bureaucrates en uniforme, gros et arrogants, terrorisent des millions de voyageurs. En s'habillant en uniformes des services de sécurité, des gens, a l'origine sans emploi, pris directement dans la rue, ou des ouvriers sans qualification mal payés sont devenus les grands maîtres de tous ceux qui ont fait l'erreur d'avoir acheté un billet d'avion. Ceux qui n'ont jamais voyagé au-dela des frontieres de leur ville (et ils en sont probablement meme fiers), disposent d'un pouvoir quasi absolu sur ces richards audacieux qui osent voyager. Regarder leurs chaussettes et leur linge de corps, les déchausser, leur pointer des lampes de poche dans les yeux (bientôt aussi dans la gorge et dans les oreilles), les pousser d'un couloir a l'autre, les passer aux détecteurs ainsi que leurs valises, casser les serrures de ces valises et mettre le nez dedans, c'est le plaisir des pantouflards en uniforme. Une fois j'ai été témoin d'une scene qui m'a littéralement privé de souffle. Si Franz Kafka, l'auteur des proses absurdes, avait été dans les parages, il se serait réjouit. Dans un mini-aéroport désert et oublié quelque part en Iowa, un agent de sécurité est passé d'un bâtiment a l'autre. A cette occasion, ses collegues, employés de la meme compagnie de sécurité, l'ont fouillé a corps! Ça s'appelle la lutte contre le chômage. Ces garçons et ces filles trouveront toujours du travail. Quand j'ai quitté, il n'y a pas si longtemps, Mexico une femme des services de sécurité m'a arreté avant que je n'entre dans l'avion et elle a montré du doigt mes chaussures. Cela fait vingt ans que je possede ces chaussures. Ce sont mes chaussures pour voyager. Elles sont déja parties avec moi en Inde, en Malaisie mais aussi en Egypte, elles ont parcouru toute l'Europe et un bout de l'Amérique. J'en suis fier, elles font partie de mes voyages. J'étais obligé de les enlever. Ce n'était pas encore si terrible. Mais cette bureaucrate en uniforme les a pris avec ses gants blancs et lentement avec soin et envie elle a cassé les semelles.

Ensuite elle me les a rendues. Mes chaussures de globe trotteur condamnées a l'invalidité ! Elles étaient le symbole des temps ou voyager en avion était synonyme de monter au ciel.

Quand l'avion décolle il laisse derriere lui, sur terre, son ombre. Aujourd'hui cette ombre ne vous quitte meme pas a dix kilometres au-dessus de la terre. C'est l'ombre de la betise qui est en train d'etre mondialisée.

Traduit par Diana Lemay


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